Des parents qui s'essoufflent!
- Mai 2017
- par Jean-Luc ROBERT
- Psychologue à LezAPe
Le sauveur :
Face aux troubles du comportement
de leur enfant, certains parents démunis, s’en remettent
parfois après plusieurs années d’autogestion
infructueuses, à un psychologue.
L’expression : « s’en remettent à »
est à comprendre au sens littéral, les parents mettant
consciemment ou inconsciemment tous leurs espoirs en cet
expert de la dernière chance.
Après tout, c’est bien avec le pouvoir de guérison que
l’on prête à ce spécialiste, qu’on peut espérer un effet
placébo profitable.
Mais lorsque cet effet se dissipe et que l’on se trouve
dans le dur, c’est-à-dire lorsque le changement tarde à
s’opérer, c’est parfois le « désamour ». Il leur faut
alors comprendre que le travail sera long, non-magique,
et se rappeler peut-être de la mise en garde initiale
qui leur avait été faite : « Cette difficulté peut
évoluer favorablement à la condition que l’on puisse
travailler ensemble et avoir en tête que le travail sera
long ».
Endurance :
Les parents qui « s’en remettent »
ainsi au psychologue, ont en effet tendance à penser que
quelques séances suffiront. Le coût de la consultation
est aussi un élément à prendre en compte, qui les amène
à ne pas vouloir se projeter dans une prise en charge au
long court.
Mais lorsque l’on reçoit un enfant qui présente des
difficultés de comportement, il faut se représenter un
fonctionnement installé depuis plusieurs années pour des
raisons bien précises. Il est alors nécessaire
d’explorer ces raisons. Et si beaucoup parviennent
rapidement (quelques séances) à comprendre la raison du
comportement de leur enfant, il ne faut pas pour autant
penser que « compréhension » est égal à « résolution du
problème ». La psychologie n’est pas aussi cartésienne
que cela. Elle a besoin de temps pour que cette
compréhension se traduise en effets positifs, de temps
et d’abnégation de la part des parents comme de l’enfant
concerné.
Et c’est bien là que le bât blesse souvent. Comment se
fait-il que les mauvais comportements persistent ?
Combien de temps faudra-t-il encore attendre ? On
s’inquiète de la scolarisation, de l’avenir. On doute de
la prise en charge. On doute du psychologue. A-t-il
donné les bons conseils ? Ils s’essoufflent alors, et
l’angoisse peut ainsi monter jusqu’à la rupture
soudaine.
Que faire alors?
Pour ceux qui ont arrêté la prise
en charge prématurément, il n’est plus possible d’agir.
Le psychologue se gardera en effet de courir après ces
patients pour des raisons éthiques. Il ne pourra
qu’espérer ensuite, qu’ils reprennent le travail
incontournable avec un autre professionnel.
Pour ceux qui parviennent à verbaliser cette angoisse, à
dépasser leurs doutes, et à comprendre que le
psychologue propose avant tout une solution théorique,
il est alors possible de les accompagner avec encore
plus d’âpreté pour mettre en pratique cette solution. En
psychologie, il peut paraître inapproprié de parler de
courage et de persévérance, mais ces qualités sont bel
et bien nécessaires, comme c’est le cas pour toutes les
épreuves qu’un sujet doit affronter au cours de son
existence.
Parfois, la prise en charge débute à peine, et l’on
soupçonne déjà un découragement précoce poindre face à
l’éventualité d’un non-résultat. On peut aussi sentir
une sous-estimation de la difficulté qui augure
également d’un découragement précoce.
Et pour ceux qui montrent une grande motivation, il faut
dire qu’il y a quand même un essoufflement normal
constaté si la prise en charge dure des mois et que
l’enfant stagne.
Dans l’idéal donc, il faudrait une
progression constante pour s’assurer de garder leur
motivation intacte, mais l’on ne peut que rarement se
retrouver dans cette situation favorable.
Mais plus largement, il est clair que la question ne se
pose pas que pour les parents d’enfants en difficulté.
Elle se pose pour tout patient engagé dans un travail
auprès d’un psychologue. Il y a je dirais, presque
toujours un moment où le patient s’essouffle, a
l’impression de tourner en rond et donc, où il est tenté
de remettre en question le bien fondé de son suivi.
L'expérience :
Un psychologue novice qui n’aurait
pas appris à endosser le bon costume, pourrait se faire
rapidement prendre à ce piège et s’épuiser de vivre des
abandons successifs.
Un psychologue plus aguerri devrait
savoir garder cette distance nécessaire, et s’attendre à
chaque fois comme une espèce de normalité, à serrer la
main de son patient pour la dernière fois. Il devrait
accepter en quelque sorte d’être ce psychologue-kleenex
que l’on jette vulgairement une fois la crise de larme
passée. Ceci suppose d’avoir un narcissisme à
l’équilibre et d’être préparé à cela.
Aux psychologues supportant difficilement ces
ruptures, je conseillerais de bien se poser
la question de la place qu’ils occupent pour le patient,
et s’ils sont suffisamment armés pour l’occuper. Notre
rôle est de supporter les bons comme les mauvais
sentiments projetés, et de rester un repère fiable pour
le patient qui, nous faisant vivre son histoire par son
récit, aspire à nous y entraîner réellement (transfert).
Aux parents ou patients doutant de la prise en
charge, je leur dirais que le doute,
l’essoufflement, sont des choses normales qu’il faut
savoir parler pour éviter tout passage à l’acte
prématuré. Je leur rappellerais surtout qu’il est
d’abord nécessaire qu’ils puissent compter sur eux-mêmes
en s’appuyant sur le psychologue, et non l’inverse.
auteur
Auteur du livre : Ma vérité sur l'autisme, Jean-Luc ROBERT, N° ADELI : 779301076, consacre essentiellement sa carrière à l'étude et au traitement des troubles du comportement des enfants, notamment des autistes.