Peut-on considérer le châtiment corporel comme un échec?
- Mai 2017
- par Jean-Luc ROBERT
- Psychologue à LezAPe
Drôle de question :
Que l’on puisse se poser cette question, comme s’il était possible de ne pas recourir à la punition dans l’éducation, m’interroge. Par opposition à la punition, la récompense ne fait en revanche aucun débat. On s’évertue à l’employer tous-azimuts (le bon point à l’école, le simley, le bonbon, le câlin, le bravo…) pour encourager le moindre effort, la moindre réussite, ce qui est une bonne chose.
Mais pour quelles raisons la punitions est-elle si décriée?
Sans doute parce qu’elle demeure encore attachée à une symbolique religieuse, donc morale, forte. Expier une faute, purger sa peine ou sa dette auprès d’un juge suprême qui en l’occurrence serait l’autorité parentale, ferait des parents les juges intransigeants d’une éducation à l’ancienne. Il fût un temps pas si lointain en effet, où recevoir un coup de règle sur le bout des doigts ne choquait personne. Aujourd’hui, l’instituteur qui se risquerait à agir de la sorte serait à coup sûr convoqué par ses supérieurs avec une mise à pied à la clé. Je pense que l’on peut se réjouir de cela car infliger un châtiment corporel, ou une peine morale de grande importance, c’est aller trop loin (…) et surtout, un aveu d’impuissance que l’on peut considérer comme un échec. La punition et la récompense comprennent deux polarités, l’une concerne l’ajout, l’autre le retrait. Alors la question qu’il faut se poser est la suivante : On ajoute quoi, on retire quoi et dans quel ordre de grandeur, pour obtenir quels effets ?
Les réponses des adultes au comportement de l'enfant :
- Si l’on ajoute
une obligation, une peine (quelque chose de désagréable)
à un comportement qui vient de se produire, on doit
savoir que cela va décourager ce comportement comme
souhaité. Mais doit-on aller jusqu’à ajouter une douleur
physique (claque, fessée) en agissant sous le coup de la
colère voire de la vengeance, et en se disant que c’est
bien fait pour l’enfant qui a mérité que l’on se soulage
de la tension qu’il a fait monter en nous ? Est-ce
pédagogique et efficace ? Si oui, pourquoi est-on amené
à reproduire cette réponse à l’infini avec un enfant qui
pleure parfois même avant d’avoir reçu un premier coup ?
C’est bien ce que j’appelle l’échec de l’éducation.
D’aucuns penseront que l’enfant est une tête brûlée,
qu’ils n’y sont pour rien et qu’ils n’ont donc pas
d’autre choix que de sévir. Ils pensent en quelque sorte
avoir tiré le mauvais numéro, se déculpabilisant ainsi,
se déchargeant de toute responsabilité. L’enfant n’est
pas facile, il a sale caractère, les obligeant à se
montrer sous un mauvais jour.
D’autres auront la capacité de comprendre qu’il s’agit
d’un dialogue à deux et qu’il y a peut-être quelque
chose à changer dans ce dialogue, notamment leurs
réponses à ce comportement qu’ils souhaitent voir
disparaître.
- Si l’on retire une chose désirée par
l’enfant (quelque chose d’agréable) à un comportement
qu’il vient d’avoir, on doit savoir que cela va aussi
décourager ce comportement. Alors au lieu d’infliger une
douleur (fessée) à la caisse d’un supermarché pour punir
un enfant qui nous a harcelé pour un G.I. Joe durant les
courses du week-end, pourquoi ne pas simplement le
laisser à la maison la fois suivante ou chez un ami ?
C’est ce que l’on appelle en terme ABA (Analyse
Appliquée du Comportement) une punition
négative (retrait d’une chose agréable =
faire les courses en famille) pour décourager le
comportement de l’enfant.
Ainsi, l’on a évité de s’énerver, de répéter mille fois,
de le menacer d’une punition suprême qui n’arrivera
jamais, ou de lui infliger une énième fessée publique
avec pleurs théâtralisés (Warning : toutes ces réponses
font plaisir à l’enfant et donc l’encouragent dans son
comportement de protestation). Après deux ou trois
week-ends, il apprendra que son comportement
(harcèlement – opposition à la décision de l’adulte) a
une conséquence qui sera toujours la même : Obtenir
l’inverse de ce qu’il souhaite (être ignoré et surtout,
pas exhaussé).
Ce qu'il ne faut pas faire :
Mais un enfant qui est pris en
compte à chaque fois qu’il chouine, soit par une
engueulade, soit par une fessée, même par des regards
menaçants, ne peut pas faire cet apprentissage. Ce qu’on
lui apprend alors malgré soi, c’est à maintenir son
mauvais comportement en l’encourageant par une réponse
agréable. Eh oui, lui crier dessus devant tout le monde,
lui donner une fessée, c’est agréable dans une certaine
mesure.
Qu’il s’agisse donc d’une punition avec ajout :
P+ (de quelque chose de désagréable) ou d’une
punition avec retrait : P- (de quelque
chose d’agréable), le résultat est le même :
découragement du mauvais comportement. Mais il faut
veiller à ce que le retrait ou que l’ajout soient
mesurés (non agis avec colère et vengeance) et surtout
ne pas s’emmêler les pinceaux (croire que l’on applique
une punition décourageante, alors que l’on applique en
réalité un renforcement encourageant : donner une fessée
à la caisse d’un supermarché = donner de l’attention =
faire plaisir). Cette erreur est malheureusement souvent
faite des mois, voire des années durant, et il faut
garder en mémoire que plus l’erreur dure dans le temps,
plus le conditionnement sera compliqué à défaire.
On peut considérer le châtiment corporel comme une forme
d’échec car il s’agit d’une punition suprême à laquelle
les parents recourent quand :
- L’enfant va vraiment trop loin (s’il va trop loin
c’est bien qu’un apprentissage n’a pas pu se faire avant
d’en arriver là),
- L’adulte n’a plus d’autres réponses.
Il ne sait plus quoi répondre ou quoi faire (L’adulte
est souvent hors de lui et peut s’en vouloir d’avoir dû
tenir ce mauvais rôle. A court de réponses éducatives,
il donne cette réponse qui peut devenir automatique, lui
évitant d’analyser ce qui se passe. Et dans bien des
cas, il ignore que ce châtiment corporel ne dissuade pas
l’enfant, au contraire).
Enfin, pour aborder les choses sous un angle analytique,
je terminerai en disant qu’il ne faut jamais oublier
qu’un comportement n’est pas une maladie mais un
symptôme. Si l’on veut voir disparaître le symptôme, il
faut identifier à quelle maladie (à quelle angoisse), il
est rattaché. Croire que l’on va faire disparaître un
symptôme/comportement non désiré avec une bonne fessée
est donc souvent un leurre. Se poser la question de
savoir ce qui génère ce symptôme/comportement est la
chose la plus importante pour pouvoir adapter sa
réponse.
Il est ainsi possible et souhaitable, dans une
vision intégrative (globale) d’envisager
d’appliquer une punition pédagogique (non vengeresse),
pour décourager un comportement non désiré, tout en
considérant la dimension analytique qui nous amènera à
dire à l'enfant que l'on a compris à quelle angoisse est
rattachée ce symptôme, et en agissant avec lui pour la
réduire, voire la faire disparaître.
Il va de soi pour répondre à la question initiale : Faut-il
punir votre enfant ? que la réponse est oui,
mais pas systématiquement, aveuglément, et démesurément.
Il faut le punir, tout comme comme il faut le
récompenser, parce que c'est bien par la récompense et
la punition (donc par la conséquence résultant d'un
comportement) que va se faire le fameux apprentissage
que l'on appelle : "l'apprentissage par l'expérience".
Un enfant qu'on ne punirait jamais, ou que l'on
surprotégerait de telle sorte qu'il n'ait jamais de
conséquences désagréables à vivre (facteurs extérieurs)
vivrait dans une bulle qui le rendrait inadapté pour la
société, intolérant qu'il serait à la moindre
frustration.
Auteur du livre : Ma vérité sur l'autisme, Jean-Luc ROBERT, N° ADELI : 779301076, consacre essentiellement sa carrière à l'étude et au traitement des troubles du comportement des enfants, notamment des autistes.