Un langage "autartistique"
- Juin 2018
- par Jean-Luc ROBERT
- Psychologue à LezAPe
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Extrait du livre : "Ma vérité sur l'autisme" : Chapitre 13 / UN LANGAGE AUTARTISTIQUE
Le rôle PRéPONDéRANT des
parents : Le langage est le parfait exemple
du domaine de développement que ces parents mécontents
confient aux professionnels, sans savoir que la majeure
partie du travail leur incombe. D’une manière générale,
ils surestiment l’impact thérapeutique qu’ont les
professionnels sur leur enfant, et sous-estiment dans le
même temps leur importance dans ce travail. Avec
l’autiste, il est toujours question de parvenir à
contrarier un fonctionnement en vase clos. Il ne faut
pas attendre de lui qu’il s’ouvre à l’autre de lui-même
ou qu’il fasse des efforts dont il croit pouvoir se
passer. Ainsi, comme l’on ne se rend pas compte qu’il
serait en mesure de porter son sac seul si l’on cessait
de l’en dispenser, on ne se rend pas compte qu’il
communiquerait davantage si l’on arrêtait d’anticiper
ses moindres désirs. Là encore, le travail peut vraiment
avancer de façon spectaculaire quand les parents
entendent cela, et veillent à créer les conditions d’un
inconfort suffisant pour qu’il sorte d’une autarcie qui
dessert toute communication. Or ce n’est pas ce qu'il se
passe dans un quotidien où tout est en permanence
accessible et même anticipé, malgré nos conseils maintes
fois renouvelés.
L’absence de langage les désespère souvent
oui. Mais est-il nécessaire de rappeler qu’avant le
langage il y a la communication, qui comprend le
langage, mais aussi bien autre chose ? Entrer en
relation avec quelqu’un, c’est pouvoir participer à un
envisagement mutuel, c’est aussi être réceptif à
l’expression d’un visage, d’un geste, d’un corps, bref à
tout ce que l’on appelle le langage infra-verbal. Il est
banal de dire que la communication n’est pas verbale
pour l’essentiel, mais tellement capital à la fois. Les
mots viennent en dernier lieu, presque par la force des
choses. Nous pouvons donc communiquer sans langage,
comme nous pouvons parler sans communiquer.
Car dans l’autisme en effet, ce n’est pas l’absence de
langage qui pose problème, c’est l’absence de
communication, ou plus justement, l’altération de cette
communication. Ils peuvent développer un paralangage
plein de jolis sons qui ne disent pas grand-chose à
l’entourage. Ils peuvent répéter les mots qu’ils
viennent d’entendre (écholalie), ou répéter des sons et
des mots hors contexte (stéréotypie verbale). On parlera
d’un langage non fonctionnel, c’est-à-dire qu’il ne fait
pas office de communication. C’est la raison pour
laquelle on parle justement d’altération qualitative de
la communication comme un des critères permettant de
diagnostiquer un TSA. On souhaite par-là mettre en
évidence une inadéquation et non forcément une absence.
Le principal obstacle demeure toujours
l’initiation de toute chose. L’autiste n’aime pas que
ses choix et envies fassent l’objet d’une négociation.
Initier la communication signifierait endosser le rôle
d’un sujet qui reconnaît s’adresser à un tiers et
dépendre de lui, en d’autres termes, sortir de la
suffisance autistique. Cette dernière pierre est pour
cette raison difficile à poser.
Forcer les choses consistera à l’obliger à faire des
demandes parce que rien de ce qu’il désirera ne sera
directement accessible, même pas une chaise pour
s’asseoir. Quelle cruauté que de vouloir rajouter à sa
souffrance ! Celui dont la maladie nous pousserait à des
extrêmes pour le sortir de là, ferait-il de nous des
personnes maltraitantes ? Certains le penseront, et il
est vrai qu’il faut veiller à ne jamais franchir cette
limite malsaine où l’on bascule du soin aux mauvais
traitements. Il ne s’agira donc pas de le laisser debout
des heures évidemment. Il s’agira de lui faire
comprendre que rien ne va de soi, et qu’il n’est pas
évident qu’une chaise soit systématiquement à sa
disposition. Il faut avec obstination le confronter au
fait qu’il dépend des autres, et que pour cette raison,
son autosuffisance ne tient pas la route.
Pour quels motifs ne peut-on pas laisser ce
travail sur la communication aux seules orthophonistes
spécialisées ? Pour quels motifs la
participation quotidienne des parents est-elle requise ?
Parce que, contrairement à ce que l’on voudrait nous
faire croire, il ne s’agit pas seulement « d’enseigner »
la communication à un autiste défaillant. Il ne s’agit
pas seulement de remettre droit, de corriger : « ortho
», puis de généraliser cet apprentissage. Il s’agit
aussi de percer une barrière défensive, et parfois osons
le dire, un refus. Dit autrement, nous ne sommes pas
systématiquement dans une incapacité mais dans une forme
d’opposition volontaire à la communication.
L’exemple criant pouvant illustrer ce propos,
est la réticence de certains à utiliser leur classeur
PECS dont ils ont pourtant compris la fonction. Le PECS
est une méthode d’apprentissage de communication
alternative et augmentative mise au point par le Dr
Andrew S. Bondy (psychologue comportementaliste) et sa
collaboratrice Lori Frost (orthophoniste) en 1985. Elle
permet à la personne de mieux communiquer. La
particularité du PECS est de mettre l’accent sur
l’initiative d’un sujet à communiquer via des images
représentant des objets. Cet outil a pour objectif de
l’amener à devenir indépendant pour adresser ses
demandes de façon spontanée. Outre les techniques lui
permettant de faire son apprentissage, le PECS repose en
grande partie sur un système de récompenses puissantes.
Il faut donc faire avant toute chose une évaluation
minutieuse des récompenses qui pourront intéresser
l’enfant. On parle de renforçateurs puissants grâce
auxquels il sera motivé pour communiquer. La méthode
PECS fait donc partie des méthodes comportementales
puisqu'elle utilise la technique du renforcement positif
pour augmenter l’apparition des comportements souhaités
par conditionnement, ici la communication. C’est l’idée
que le comportement dépend de sa conséquence et qu’il
peut donc être modifié en fonction de cette conséquence.
Tout cela est bien joli sur le papier.
L’enfant fait face à l’objet qu’il désire, et un
incitateur physique se trouvant dans son dos l’aide à
adresser une demande via une étiquette, à un partenaire
de communication en possession de l’objet (phase 1). On
se dit alors qu’il suffit de lui enseigner comment
communiquer, et que lorsqu’il maîtrisera l’outil suite à
l’apprentissage, les choses seront plus faciles. Ajoutez
à cela des activités fonctionnelles, n’oubliez pas les
récompenses puissantes, et votre tout est un sujet
désormais docile qui ne présente plus de comportements
socialement inadaptés. Tel est le socle de l’approche
pyramidale de l’éducation vendue comme infaillible par
la méthode ABA. Mais en pratiquant le PECS, on rencontre
des obstacles auxquels on ne s’attendait pas. Des
obstacles, qui on le comprend rapidement, n’ont rien à
voir avec une incapacité neuro-développementale à
communiquer comme annoncé. Et il faut reconnaître sans
ironie qu’il est assez drôle qu’un outil se voulant le
promoteur d’une méthode qui corrige et rééduque une
défaillance, révèle à ce point la dimension
psychologique sous-jacente à ces difficultés de
communication.
Car en effet, il arrive qu’il y ait un problème
d’ajustement entre la main de certains enfants et celle
de leur partenaire de communication. Il peut bien sûr
s’agir d’un trouble oculomoteur, mais
lorsqu’inexorablement, l’étiquette ne trouve pas la main
du partenaire, on commence à se poser des questions. N’y
a-t-il pas une volonté de ne pas mettre l’étiquette dans
la main du partenaire de communication ? Cela est plus
flagrant encore lorsque le partenaire de communication
déplace sa main au moment où ils s’apprêtent à la lâcher
juste à côté, pour les voir faire un autre déplacement
afin, interpréterait-on abusivement, de viser à côté. On
note également que ces enfants qui ont du mal à donner
l’étiquette « jusqu’au bout » sont souvent ceux qui
peuvent ne montrer aucun intérêt pour l’objet pourtant
préféré une fois qu’ils l’obtiennent. On sait assurément
qu’ils sont complètement addicts à l’objet qu’on leur
présente. Là encore, de multiples questions peuvent se
poser.
Et que dire de ceux qui n’ont aucun problème de
discrimination (acquisition rapide de la
phase 3 : choisir l’image appropriée parmi plusieurs
images), et qui par moments, ou en certaines
circonstances, ne touchent même pas leur classeur de
communication ou l’étiquette se trouvant face à eux ?
Ils montrent des signes d’agacement évidents face à cet
objet ou aliment dont ils essaient de s’emparer, alors
que l’adulte a pu vérifier à maintes reprises qu’ils
étaient en mesure de bien discriminer toutes les
étiquettes de leur classeur. La phase 4 ayant été aussi
atteinte (Répondre à la question : qu’est-ce que tu veux
? avec une bande phrase où plusieurs images sont
alignées), il ne fait aucun doute qu’ilssoient capables
d’adresser une demande. Mais ils trépignent, hurlent, se
mettent dans tous leurs états parce qu’on ne veut pas
leur donner ce qu’ils cherchent à s’approprier par
eux-mêmes, oubliant ou refusant de recourir à l’outil.
Ils essaient alors d’attraper l’objet en contournant
l’adulte, et n’y parvenant pas, ils peuvent même tout
simplement abandonner. Ils donnent clairement le
sentiment qu’ils « préfèrent se priver » plutôt que
d’avoir à passer par l’adulte pour obtenir ce qu’ils
veulent. Cette expression ne tarde d’ailleurs à être
dite ouvertement par les personnes incrédules qui sont
en possession de l’objet, et qui savent qu’ils seraient
en mesure de demander ce qu’ils veulent avec l’image
correspondante.
D’autres plus rusés, développent des stratégies
qui ne peuvent que déranger ceux que la thèse
organique a convaincus. Le doute n’est en effet plus
possible lorsque des enfants apathiques qui ne semblent
montrer aucun intérêt pour ce qu’on leur propose
(gâteaux préférés), attendent que le partenaire de
communication soit distrait pour sauter sur une boîte de
gâteaux et engloutir tout ce qu’ils peuvent avec une
vivacité déconcertante. Je répète qu’ils sont en général
très compétents pour adresser une demande via le PECS.
Il arrive enfin plus rarement qu’ils donnent l’étiquette
à celui qui est censé les aider à faire la demande au
partenaire (l’incitateur physique). Ce dernier n’est
pourtant pas en possession de l’objet. Il est alors
intéressant de changer les personnes de place et de rôle
pour constater que celui à qui la demande est adressée
est toujours celui qui n’est pas en possession de
l’objet, comme si une demande trop directe au partenaire
de communication était évitée parce que trop couteuse.
Peut-on supposer que dans toutes les situations
mentionnées, ils savent parfaitement ce que l’on attend
d’eux puisqu’ils utilisent un outil familier durant
plusieurs mois, qu’ils connaissent les lieux et les
personnes dans une pratique régulière en contexte
détendu ?
Peut-on supposer qu’ils sont compétents pour
répondre à notre demande puisqu’une
utilisation en contexte structuré a aussi maintes fois
démontré leur aptitude à bien discriminer et à
comprendre la fonction de l’outil ?
Ou
peut-être est-ce trop de suppositions pour les
scientifiques cartésiens que sont les cognitivistes ?
La preuve n’étant pas établie en la circonstance,
faut-il ignorer que tout professionnel de bonne foi
amené à recourir au PECS se retrouve confronté à ces
situations saugrenues qui peuvent le questionner ?
A-t-on le droit de se dire dans ces cas
précis, que l’impossibilité de répondre à une
demande est probablement en rapport avec des raisons
psychologiques ? Est-il raisonnable de
faire l’hypothèse qu’ils sont en difficulté dans cette
situation de confrontation avec l’adulte et sa
demande, comme faisant obstacle à leurs souhaits
immédiats d’obtenir quelque chose sans passer par un
autre ? Si cela s’avère exacte, ne pourrait-on pas
aussi se servir du PECS comme d’un outil pouvant aider
à composer avec une réalité extérieure frustrante qui
met dans une situation de dépendance et de non
maîtrise ? Cet outil pourrait-il donc servir à traiter
cette difficulté particulière qui fait que l’autiste
ne peut passer par la reconnaissance d’un tiers ?
Cette reconnaissance étant l’ouverture vers une
triangulation là où il y avait un accès direct à
l’objet, voire une fusion avec celui-ci, serait-il
possible via cet outil qui deviendrait thérapeutique,
de court-circuiter ce système « autartistique » ?
Et tout cela est bien logique après tout, car lorsque
l’enfant retient son geste au moment où l’adulte
ajuste sa main, puis déplace la sienne à son tour pour
éviter de donner l’étiquette, on peut voir dans ce
double effort le symbole de l’expression du conflit
psychique : Devenir un être conscient qui s’adresse en
tant que sujet à un autre sujet (le monde extérieur).
Comme dit précédemment, cette démarche n’est pas
toujours évidente pour un autiste qui a justement la
particularité d’être replié sur lui-même (Autisme : du
grec auto, « soi-même ») et en conflit avec
l’extérieur comme dans toute psychose. Agir ainsi
serait reconnaître que l’autre existe en tant
qu’entité à part entière, avec son libre arbitre, mais
aussi reconnaître que l’objet du désir ne fait pas
partie de soi (souvent l’objet autistique). Fin de la
toute-puissance ! Ce qu’on pourrait appeler un mode de
fonctionnement défensif (le repli et l’autosuffisance)
se trouverait alors ébranlé par le simple fait de
devoir faire une demande à un autre via l’outil PECS.
Voilà pourquoi je pense au final qu’il est possible,
voire souhaitable, d’envisager l’utilisation de cet
outil dans une approche intégrative.
Voici comment les choses se passent sur le
terrain : L’adulte interloqué ne comprend
pas que son élève ne fasse pas la demande alors qu’il
le sait clairement compétent. Celui-ci ignore l’objet
au moment où il s’approche (évitement du regard), et
se montre très apathique lorsqu’il lui demande
d’utiliser sa bande phrase. Il ignore également le
classeur qui perd pour lui toute fonctionnalité. Il
ignore enfin l’adulte qui se dit alors : « Il ne veut
pas de cet objet aujourd’hui. Il est vraiment
ailleurs. Il ne va pas me faire croire qu’il ne sait
plus ce que j’attends de lui quand même ? » Alors il
passe à autre chose en gardant l’objet à proximité, et
là : surprise ! L’enfant profite de cette baisse de
vigilance pour bondir sur l’objet même après une bonne
heure d’attente. Quelle ténacité ! Quand cet objet est
un biscuit, la scène est cocasse.
« Eh ben ? Tous ces signes de non-présence et de
non-désir étaient trompeurs. Il était bien présent et
désireux. Il s’agissait donc d’une stratégie. » se
dit-il.
L’adulte sidéré sait désormais que l’outil et
ce à quoi il sert ne sont pas ignorés. Il
se dit enfin que l’enfant ne veut pas de cette
triangulation qui implique l’adulte/classeur,
lui-même, et l’objet. Il comprend que celui-ci préfère
la relation directe enfant/objet, et que la non
demande n’a rien à voir avec une incompétence
technique en lien avec une incapacité du domaine
neuro-développemental. Et terrible constat, il
comprend que la frustration est plus supportable que
de devoir passer par une triangulation trop
compromettante.
Mais que les cartésiens se rassurent,
il y a toujours une personne extérieure qui voit la
scène et qui est persuadée que l’enfant ne sait
vraiment pas se servir de son classeur. C’est souvent
inévitable lorsque l’on se contente de se fier à son
canal sensoriel visuel sans chercher à comprendre la
psychologie de l’invisible.
Picture Exchange Communication
System (Système de Communication par Échange d'Images).
La récompense est une conséquence agréable qui
encouragera l’enfant à avoir de nouveau le « bon »
comportement.
Conditions où la demande est suscitée dans tous les
espaces tout au long de la journée.
Apprentissage régulier dans un cadre structuré.
«Ma vérité sur l’autisme », (chapitre 11 - Thérapies
d’échanges) - Jean-Luc ROBERT : « Rééduquer cela d’un
point de vue purement mécanique et neuronal n’est pas
une approche suffisante. Pour ceux-là, pour tous
ceux-là, une bonne approche intégrative digne de ce
nom prendrait en considération le point de vue
psychologique qui travaillerait la question de la
maîtrise de cet échange. Car à partir du moment où
nous ne sommes plus dans une simple incapacité à faire
les choses, mais dans un refus volontaire (défensif),
nous sommes alors dans des phénomènes psychiques
conscients ou inconscients qu’il faut traiter avec
d’autres outils.»
Auteur du livre : Ma vérité sur l'autisme, Jean-Luc ROBERT, N° ADELI : 779301076, consacre essentiellement sa carrière à l'étude et au traitement des troubles du comportement des enfants, notamment des autistes.