A la folie!
- Août 2017
- par Jean-Luc ROBERT
- Psychologue à LezAPe
Un pouvoir hypnotique :
Au fil des prises en charge que j’ai pu mener à LezAPe, j’ai été frappé par le pouvoir quasi hypnotique que pouvaient exercer les maîtresses sur mes jeunes patients. Ce pouvoir va souvent bien au-delà de celui exercé par les parents eux-mêmes. Certains sont prêts à tous les sacrifices pour obtenir LE bon point de celle à qui ils font les yeux doux à longueur de journée. Ils sont clairement amoureux et redoublent d’efforts pour se démarquer parmi la multitude. Le système de récompenses de la maîtresse est d’ailleurs bien étudié pour cela. Il comprend une graduation qui va du mauvais comportement (pastille rouge), où l’enfant n’est pas loin de penser qu’il n’est pas aimé d’elle, au bon comportement (super bon point * GOLD *), pour l’élève modèle, l’enfant chéri qui aurait toutes les grâces de cette dernière. On comprend pourquoi certains sont malades à l’idée de devoir manquer une journée d’école pour un simple rhume. Un clivage peut alors s’opérer entre l’enfant indiscipliné que les parents connaissent au quotidien, et celui qui se plie aux quatre volontés de la maîtresse.
Comment cette magie opère-t-elle?
Pour répondre à cette question, je pense qu’il faut se demander ce que peut représenter la maîtresse pour l’enfant. Elle est d’abord celle qui a le savoir, tout le savoir. Elle est admirable pour cela. Elle a la maîtrise de toutes situations, domine, dirige, mais aussi possède tous ces élèves qui se considèrent fantasmatiquement comme ses petits. On parle donc là du point de vue de l’enfant, d’un amour maternel qui se substituerait à celui de sa mère en l’absence de celle-ci. On parle d’un attachement qui s’opère au fil des jours à travers tous les petits temps partagés, alors qu’il est séparé sept heures durant de ses parents. Il va de soi en effet, que cette figure n’est pas qu’une enseignante. Elle est bien plus que cela. Elle aide par exemple l’enfant à mettre son manteau, à attacher son pantalon, ou elle lui fait un compliment qui le touche beaucoup. En somme, elle prend soin de lui, a les gestes bienveillants (parfois de tendresse) que peuvent lui dicter son contre-transfert 1 positif à son égard. Car oui, elle aussi peut ressentir pour certains un sentiment maternel et inconsciemment, considérer qu’il s’agit des siens. Tous les gestes quotidiens, comme les moments durs, seront ceux qui créeront du lien semaine après semaine. Ce phénomène est inévitable et même salutaire. Ces moments qui échappent aux parents, sont désormais inscrits dans la mémoire de l’enfant, et secrètement parfois il faut le dire, dans son cœur.
Pourquoi est-ce salutaire?
Parce que cette maîtresse est le
point de départ d’une séparation fondamentale lui
permettant de trouver sa place parmi d’autres, de
s’attacher à d’autres objets, et donc, de se
sociabiliser. Cet attachement indispensable à un autre
objet, permet à l’enfant d’évoluer dans son
développement psycho-affectif. Alors oui, il est sain
pour ce dernier que la maman soit en quelque sorte
concurrencée par cette autre (maîtresse, nounou…), afin
qu’il fasse l’apprentissage d’un amour qui se partage.
Il comprend que la nounou ou la maîtresse comptent
beaucoup pour lui, sans pour autant affecter l’amour
qu’il a pour ses parents. En faisant cette expérience
d’un amour non-exclusif, il peut comprendre
qu’inversement, la maîtresse puisse aimer tous ses
élèves, et doit accepter de partager son attention et
son affection.
Les choses se corsent alors sérieusement pour ceux qui
peinent à évoluer dans ce processus de
séparation/individuation avec leurs parents, et qui
logiquement, montrent de sérieuses difficultés
d’adaptation à l’école. Pour ceux-là, le partage est un
calvaire. Un sentiment d’inexistence les assaille. Le
lien à leur objet d’amour est menacé par tous ces autres
qui veulent la même chose. Comment s’assurer de ne pas
être oublié? Comment un adulte peut-il aimer et penser à
plusieurs enfants en même temps ? Lorsqu’il pense à
l’un, il oublie l’autre. C’est sûr ! Et l’autre c’est
moi. Un enfant oublié qui n’existe donc pas (qui n’a pas
de valeur) aux yeux de la maîtresse. L’angoisse monte
alors et avec cette montée, tous les symptômes visibles
que l’enfant révèle et qui compliquent la relation (on
appellera ces symptômes : « des bêtises visibles qui ne
pourront pas échapper à l’autorité et qui entraîneront
des punitions souvent inefficaces »).
Pour l’enfant qui parvient à s’appuyer sur cette
expérience de partage afin d'évoluer
positivement d’un point de vue affectif, il s’agit au
contraire d’une étape qui construit ses futures
relations affectives à autrui. Lui aussi doit passer par
des moments difficiles qu’il surmonte sans trop montrer
sa peine. Il ne faut pas croire qu’il ne s’attache pas
et que le partage est pour lui facile. Qui n’a pas
ressenti ce pincement bizarre au moment où il fallait
souhaiter de bonnes vacances à la maîtresse lors d’un
goûter de fin d’année ? L’élève le plus turbulent comme
le plus sage accusent alors le coup. On sait que quelque
chose se termine et qu’à la rentrée, on devra accepter
de ne plus être cet élève-là dans cette classe là avec
cette maîtresse-là. Une situation que l’on aurait bien
voulu voir perdurer indéfiniment. Mais non, il faudra
bien investir un autre objet par défaut, en sachant
pertinemment que cette maîtresse-là était la préférée
qu’on n’aura jamais plus. C’est douloureux, mais ça se
surmonte, et surtout ça fait grANdir.
Parce que finalement, qu’est-ce qui fait que
l’enfant est si rapidement, fortement et exclusivement
attaché à sa maîtresse sans imaginer de fin possible,
si ce n’est son immaturité affective ? 1
Le contre-transfert désigne le sentiment inconscient
qu'éprouve l'analyste en réaction aux sentiments
inconscients ressentis par l'analysé dans le travail
d'analyse. Dans notre exemple, la maîtresse
ressentirait en retour et de façon inconsciente un
sentiment maternel. Ce contre-transfert positif serait
facilité par l’attachement démonstratif de ses élèves.
Auteur du livre : Ma vérité sur l'autisme, Jean-Luc ROBERT, N° ADELI : 779301076, consacre essentiellement sa carrière à l'étude et au traitement des troubles du comportement des enfants, notamment des autistes.