La pathologie du lien
- Décembre 2016
- par Jean-Luc ROBERT
- Psychologue à LezAPe
Un continuum :
Il existe un continuum entre le
normal et le pathologique. Comme disait ma professeure
de psychopathologie, la pathologie est une question de
quantité. Ce propos m’avait déjà marqué à l’époque, mais
je ne mesurais pas à quel point il se vérifierait chaque
jour dans mon quotidien clinique.
Cela se constate particulièrement pour cette question
essentielle qui concerne la majorité des jeunes patients
que nous traitons : La séparation / Individuation. A
LezAPe : Les Ateliers Parents-enfants, nous recevons les
cas les plus légers, dont nous pouvons penser qu’ils
pourront tant bien que mal traverser une vie de
normalo-névrosés avec une aide ponctuelle, comme les
sujets les plus atteints, se trouvant à l’autre
extrémité de la courbe de Gauss . Pour ces derniers, on
sait d’emblée que l’accompagnement sera long et
périlleux, bien qu’ils soient encore très jeunes et
leurs parents conciliants.
A un niveau symptomatique, la
quantité fait toute la différence entre ces deux
extrêmes, mais aussi la qualité. Oui, l’angoisse de
séparation / individuation peut se ressentir chez nos
jeunes sujets à des intensités très variables, allant du
normal au pathologique. Ils peuvent par exemple
monopoliser l’attention en racontant avec des détails
infinis comment telle ou telle sortie scolaire a été
passionnante, ou peuvent s’arranger pour se retrouver
l’air de rien, dans le champ visuel d’un parent absorbé
par une conversation téléphonique.
En général, les parents remarquent à peine ce qui est en
train de se jouer avec finesse. Ils viennent nous
consulter parce que la directrice de l’école le leur
demande. Le système scolaire est une micro-société qui
pointe en effet tous les écarts de comportement, les
plus grands, comme les plus microscopiques. Difficile
pour ces enfants de supporter d’être des anonymes parmi
une énorme trentaine d’élèves. Difficile de ne pas
sortir du rang, de se conformer, de disparaître dans le
groupe. Ah le fameux partage de l’attention qui donne le
sentiment de ne plus exister, de ne plus compter pour
personne… Faire le pitre pour attirer quelques fans et
les ennuis qui vont avec est alors bien trop tentant.
Avec le temps, si l’angoisse est modérée,
les choses se régulent tout de même de façon acceptable.
Ces enfants deviennent des personnes dont la société
s’accommode. Ils parviennent à s’y trouver un rôle qui
leur assure d’être suffisamment visibles. Le « Moi-Je »
en excroissance, ils sont ces collègues qui peuvent en
agacer d’autres parce qu’ils donnent toujours le
sentiment de savoir tout sur tout et de tout mieux faire
que les autres (suivez mon regard !). Ils sont aussi ces
collègues qui, quel que soit le poste qu’ils occupent,
s’imposent au groupe comme des leaders incontestables.
Tout doit passer par eux !
Mais pour ceux dont le curseur ne se situe pas au même
endroit sur la courbe, les choses sont plus complexes.
L’angoisse étant ressentie à la puissance mille, elle
génère des comportements qui n’ont plus rien à voir avec
la subtilité décrite à l’instant. L’enfant a alors
besoin de saturer simultanément plusieurs canaux
sensoriels chez son interlocuteur. Il lui faut occuper
l’intégralité de son champ visuel, fusionner
corporellement avec lui (plan tactile), et l’envelopper
d’un bain sonore permanent qui assure la fusion
psychique la plus totale. Et lorsque l’adulte a la
volonté de contrecarrer tout ça en se désolidarisant de
ce mélange infernal, il doit faire face à un
déchaînement qu’il n’imaginait pas. Car l’enfant en fait
une question de vie ou de mort. Par les moyens
rudimentaires dont il dispose, il met toute son énergie
à l’œuvre pour faire reculer l’angoisse de séparation
dont il pense qu’elle va l’anéantir sans délai.
Cette angoisse-là n’a assurément pas le même calibre que
celle, modérée, décrite précédemment. Les défenses
érigées par les sujets ne sont pas non plus égales. L’un
possède une psyché opérante qui lui permet de savoir
quels outils chirurgicaux employer pour gérer les
moments d’inconfort qu’il ressent, l’autre possède une
psyché immature, très vite débordée par des sensations
qu’elle ne peut pas traiter. Son débordement
quasi-quotidien a donc une conséquence terrible pour
l’entourage : Le déchaînement, la crise !
On ne maîtrise pas les raisons multifactorielles
d’un écart si important entre ces deux profils.
On constate simplement qu’un développement est en train
de s’opérer sur un terrain pathologique, et l’on essaie
de tout mettre en œuvre pour s’approcher le plus
possible du développement attendu par une action
thérapeutique d’urgence. Pour ce faire, il est
évidemment important de travailler en alliance avec des
parents qui comprennent la difficulté de leur enfant, et
participent donc à lui donner les réponses verbales et
comportementales aidantes qui pourront au mieux possible
dissoudre cette angoisse. L’accompagnement des Ateliers
Parents-enfants est avant tout un accompagnement
pédagogique qui doit permettre cela. Il s’agit de faire
de ces parents des alliés, de leur donner les outils de
compréhension et d’action qui feront d’eux les meilleurs
soignants qui soient pour leur enfant. Les ateliers
hebdomadaires seront alors comme un modèle qui se jouera
en présence du psychologue d’atelier, et qui sera censé
se répéter en son absence toute la semaine.
Aux parents inquiets je dirais pour terminer
qu’il n’est jamais trop tôt ou trop tard pour consulter.
Mais agir au plus tôt est bien sûr donner toutes ses
chances à l’enfant de s’approcher d’une courbe
d’évolution standard. Une chose est pour moi évidente,
plus ils s’emploieront avec rigueur à appliquer au
quotidien ce qui a été joué en atelier, et plus ils
auront de chances de voir le comportement de leur enfant
s’améliorer durablement.
Johann
Carl Friedrich Gauß (prononcé en allemand [gaʊs];
traditionnellement transcrit Gauss en français ;
Carolus Fridericus Gauss en latin), né le 30 avril
1777 à Brunswick et mort le 23 février 1855 à
Göttingen, est un mathématicien, astronome et
physicien allemand. Il a apporté de très importantes
contributions à ces trois domaines. Surnommé « le
prince des mathématiciens », il est considéré comme
l'un des plus grands mathématiciens de tous les temps.
Courbe de Gauss – Loi normale : Courbe étudiée par de
Moivre en 1718 et par Gauss en 1809. Une distribution
normale est une distribution parfaitement symétrique
autour d’une valeur unique, qui est à la fois le mode,
la médiane et la moyenne ; les effectifs décroissent
régulièrement au fur et à mesure que l’on s’éloigne de
cet axe de symétrie dans les deux sens. Au début du
XXème siècle, « on voit s’installer en psychologie le
postulat que les résultats à des épreuves mobilisant
des caractères psychologiques, puisqu’ils reflètent la
distribution « normale » des caractères, doivent se
répartir selon la loi « normale ».
La psyché est une théorie en psychologie analytique,
qui désigne l'ensemble des manifestations conscientes
et inconscientes de la personnalité d'un individu.
Auteur du livre : Ma vérité sur l'autisme, Jean-Luc ROBERT, N° ADELI : 779301076, consacre essentiellement sa carrière à l'étude et au traitement des troubles du comportement des enfants, notamment des autistes.