Autisme
: Quand la différence mentale n'est plus considérée comme un
handicap
- Nov. 2020
- par Jean-Luc ROBERT
- Psychologue à LezAPe
A lire aussi : https://www.lezape.fr/articles/autisme-ni-malade-ni-casse-mais-neurodifferent.html
La guerre des mondes
Avec
cette évolution, un nouveau vocabulaire s'est imposé à
nous. L'intégration a fait place à l'inclusion,
et le hors norme au droit à la différence
ou neurodiversité. Ainsi, la maladie qui n'est
plus la maladie, puis le handicap qui n'est plus le
handicap, évoluent vers la chance d'être différent.e,
faisant du même coup disparaître l'idée d'un soin à
envisager, d'un handicap à compenser, et l'espoir d'un
retour à une normalité que l'on récuse de plus en
plus.
Depuis
la description de l'autisme par Léo Kanner en 1943, la
sémiologie n'a cessé de s'étendre, englobant des
signes dans une forme de catégorisation d'abord, avec
la description des TED (Troubles Envahissants du
Développement) dans le DSMIII (Diagnostic
and Statistical Manual of Mental Disorders -
version3) datant de 1980, pour évoluer vers la notion
de spectre autistique en 2013 (DSMV), où l'on a encore
élargi notre grille de lecture de l'autisme en parlant
désormais d'une graduation.
Nous faisons ici l'hypothèse que cet élargissement perpétuel a permis une "dépathologisation" progressive de l'autisme, signifiée dès 1980 dans le DSMIII, mais plus encore, qu'à travers la notion de neurodiversité, il conduit à la revendiction du génie autistique (mise en avant par beaucoup d'auteurs de grands noms comme Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, ou même Albert Einstein). Ces esprits différents seraient précisément supérieurs parce qu'ils sont neurodifférents, et selon ce courant de pensée, notre monde n'en serait pas à ce stade d'évolution si ces personnages particuliers n'avaient pas existé ou s'ils avaient été empêchés par des personnes neurotypiques n'ayant pas fait l'effort de les inclure. On serait donc passé en 200 ans de l'idiot Victor (enfant sauvage de l'Averyon considéré comme un idiot à l'époque) aux génies méprisés que sont les autistes Asperger. Cette description rétrospective de l'autisme de Victor est la première d'une longue série :
- - Marie Curie (Prix Nobel)
- - Albert Einstein (Prix Nobel)
- - Isaac Newton (Théorie de la gravité)
- - Alexander Graham Bell (Inventeur du téléphone)
- - Thomas Edison (Inventeur, fondateur de Général Electric)
- - Henry Ford (Inventeur, fondateur de l’entreprise automobile Ford)...
- sont rétrospectivement considérées comme des personnes atteintes du trouble d'Asperger par les défenseurs de cette thèse.
L'histoire de Victor
Wikipédia : Victor, enfant sauvage de l'Averyon: Description rétrospective de l'autisme
En 1797, un enfant d'environ 9-10 ans est aperçu dans le Tarn, mais ce n'est que deux ans plus tard qu'il est capturé par des hommes et des chiens après s'être bien débattu, escorté au village de Lacaune et recueilli par une veuve. L'enfant ne se nourrit que de végétaux crus, ou qu'il a cuits lui-même1. Il fugue au bout d'une semaine.
En 1799, durant l'hiver, l'enfant passe du Tarn à l'Aveyron. Le 6 ou , un enfant nu, voûté, aux cheveux hirsutes, est débusqué par trois chasseurs2. Il s’enfuit, sort des bois et, une semaine plus tard, on le retrouve chez le teinturier Vidal, à Saint-Sernin-sur-Rance. Il ne parle pas et fait des gestes désordonnés. D'après Dagognet, « il marche à quatre pattes, se nourrit de plantes, est velu, sourd et muet3. » Il est envoyé trois jours plus tard dans un orphelinat de Saint-Affrique, puis le à Rodez4. L'aliéniste Philippe Pinel, médecin de l'hôpital de Bicêtre, fait un rapport sur cet enfant sauvage et considère Victor comme un malade mental, un idiot de naissance5.
Chez le docteur Itard
C’est l'abbé Bonnaterre, naturaliste, qui le récupère et l’emmène à l’École centrale. Le ministre Lucien Bonaparte réclame son transfert à Paris. Il arrive donc dans la capitale à Paris le . Le voilà livré à la curiosité de la foule et des savants. Toutes sortes d’hypothèses, même les plus absurdes, sont formulées à son sujet. En particulier, on ne sait pas si son retard mental est dû à son isolement ou si un handicap mental préalable a conduit à son abandon vers l’âge de deux ans.
En 1801, l'enfant est confié au docteur Jean Itard qui lui donne le prénom de Victor après s'être aperçu qu'il savait juste prononcer la lettre O6. Personne ne croit à sa réinsertion sociale, mais Itard s’attelle à la tâche. Il publie un mémoire la même année et un rapport en 1806 sur ses travaux avec Victor de l’Aveyron7. Pendant cinq années, il travaille à la réinsertion sociale de cet enfant, mais considère comme un échec personnel son incapacité à parler.
Victor est confié à une certaine madame Guérin qui reçoit une pension annuelle de 150 francs et le soigne pendant 17 ans, de 1811 à sa mort en 1828, dans une maison de l’impasse des Feuillantines à Paris. Son corps est jeté dans une fosse commune sans que soit pratiqué d'autopsie8.
L'idiotie : innée ou acquise?
En grec ancien, ce terme a un sens voisin de celui d'autisme et désigne aussi un repli sur soi. Dès le début du 19è siècle, ils firent l'objet de nombreux débats, dont un exemple fameux est celui déclenché par Victor, un "enfant sauvage" d'environ 10 ans, retrouvé errant nu, sans langage, dans les bois de l'Aveyron. Pour le psychiatre Philippe Pinel, c'était un "idiot congénital" abandonné par ses parents et incurable de naissance. Pour le jeune médecin Jean Itard, qui a entrepris de l'éduquer, son mutisme et son caractère "sauvage" étaient liés à l' "absence de commerce réciproque" avec l'environnement et pouvaient être corrigés.
Plusieurs psychiatres relèvent chez Victor des symptômes typiques de l'autisme, et posent un diagnostic rétrospectif, en raison notamment du fait qu'il est non-verbal.
Une psychologie 2.0
La
"dépathologisation" décrite précédemment a notamment
pour conséquence une psychanalyse ringardisée, faisant
presque oublier qu'elle a pourtant eu ses heures de
gloire à une époque ou les sciences humaines, encore
très proches de la philosophie, correspondaient à un
ensemble de questions que l'être humain pouvait se poser
sur lui-même. La philosophie, du grec ancien φιλοσοφία, qui signifie
littéralement « amour de la sagesse », est une
démarche de réflexion critique et de questionnement
sur le monde, la connaissance et l'existence
humaine. La
psychanalyse étant quant à elle une démarche de
réflexion critique et de questionnement sur son monde
intérieur, son entre soi, elle se situait idéalement
dans le prolongement du mouvement philosophique du
siècle des lumières. Mais cette quête ne correspond
manifestement plus aux exigences d'un temps où
le numérique, l'automatisation, la rapidité et
l'efficacité, sont de mise. Il n'y a plus d'amour de
la sagesse qui tienne, plus de temps pour élaborer,
associer, essayer de percer les mystères du psychisme
humain et d'une psychanalyse jugée hermétique. Le
rapport au temps de tout un chacun change donc, toute
chose devant être rapidement accessible et résolue.
Notre
compréhension du monde devenant palpable, quantifiable
et mesurable, avec l'avènement des intelligences
artificielles (Technologies
NBIC : Les nanotechnologies,
biotechnologies, informatique et sciences
cognitives.)
notamment, la nouvelle génération pourrait avoir
tendance à penser l'âme humaine comme une chose qui
doit aussi être appréhendée par cette machine qui
quantifie, mesure avec précision, et qui donne accès
par le fameux "OK google" a toute une série de
réponses immédiates et pré-programmées. Ainsi, cette
"modernisation de la pensée" pourrait rendre
l'explication de l'autisme par la psychanalyse
caduque, et mettre en avant une méthode dite
scientifique comme le serait la méthode
comportementale : ABA
(Analyse Appliquée du Comportement).
Car avec ABA en effet, force est de constater qu'il
n'y a plus beaucoup de place pour la réflexion
critique et pour le questionnement entre soi. Il y a
des procédures écrites et on ne peut plus
intelligibles à appliquer. Mais suivre un protocole
qui aurait fait ses preuves sans se poser ces
questions sur le sujet et sur son histoire, pourrait
conduire de facto à l'effacement du dit sujet et de
son histoire. Il serait en quelque sorte déconnecté et
déraciné.
ABA : une présomption scientifique
d'efficacité
Dans
ce contexte où il n'a jamais été autant admis que
l'étiologie de l'autisme soit neurodéveloppementale et
la psychanalyse autant décriée, il me semble
intéressant d'expliquer ici que ce que l'on pourrait
appeler une formidable machine lobbyiste oeuvre
constamment pour nous faire associer le sigle ABA
(Analyse Appliquée du Comportement) avec les mots : "validation,
scientifique" et même "réussite". Mais
a-t-on encore le droit aujourd'hui de mettre un gros
bémol sur cette association? Car alors que l'on
fustige la psychanalyse en nous laissant croire que
seule l'approche cognitivo-comportementale a fait ses
preuves, il serait peut-être judicieux de rappeler que
la Haute Autorité de Santé a
elle-même rappelé en 2013 qu'il n'existait qu'une
présomption scientifique d'efficacité concernant cette
méthode, se montrant donc très prudente :
Concrètement,
les trois méthodes recommandées que sont ABA,
Denver (The
Early Start Denver Model est un outil d'intervention
précoce partageant les principes de la méthode ABA.
Il concerne 6 points : 1.la précocité; 2.le jeu;
3.l'intensité, 20h/sem minimum;
4.l'individualisation; 5.l'évaluation; 6.la
stimulation et l'affect.),
et TEACCH (Treatment
and Education of Autistic and related Communication
handicapped CHildren » : Traitement et éducation des
enfants autistes ou atteints de troubles de la
communication associés, est un programme
universitaire d'État développé dans les années 1970
en Caroline du Nord par par
Eric Schopler. L'approche
TEACCH prône une adaptation de la démarche
éducative à toutes les étapes de la vie de la
personne autiste.), n'atteignent pour les deux
premières qu'une présomption scientifique
d'efficacité appelée (grade B), et un
faible niveau de preuves, il s'agit de grande
C pour la troisième. Aucune de ces trois
méthodes n'a pu se hisser au niveau de grade A,
celui de la validation scientifique qui est
systématiquement annoncée dans les discours
promotionnels ici et là.
La
psychanalyse n'a donc plus le droit de cité, et les
méthodes comportementales, prétendument validées
scientifiquement, sont glorifiées.
> Comment ce basculement a-t-il pu s'opérer en à peine 20 ans en France et dans le monde ?
Une société anti-Bettelheimienne
Avec
ce mouvement de déshumanisation de la
psychologie (plus de référence au passé et toutes
réponses préprogrammées), il nous faut aussi parler
d'un mouvement de déculpabilisation et de déresponsabilisation
qui veut que désormais, majeure partie des
déviances comportementales soient expliquées par un
système défaillant et marginalisant, qui n'aurait pas
su être suffisamment efficient. En d'autres termes,
nous en serions aujourd'hui à l'exact opposé de la
vision Bettelheimienne qui voulait que les parents
soient les seuls responsables. Désormais, puisque
l'histoire du sujet ne compte plus, les responsables
ne sont plus le sujet lui-même ou son environnement
proche, mais la société ou le système. Mais qu'est-ce
que le système?
Un système est
un ensemble d'éléments interagissant entre eux
selon certains principes ou règles (Wikipédia).
Ainsi, certains principes ou certaines règles
pourraient avoir changé, de telle sorte que l'individu
soit comme déresponsabilisé de ses propres actes. Nous
en voyons par exemple les effets dans le milieu
scolaire où les enseignants affirment en majorité
qu'il est difficile de faire une remarque à un.e élève
sans que ses parents, se sentant attaqués, défendent
ce dernier. L'élève ne serait plus considéré.e comme
responsable des ses actes, et par extension, ses
parents non plus. Le système scolaire, lui en
revanche, se retrouverait fréquemment sur le banc des
accusés.
En
1960, 70, 80, les choses se passaient-elles ainsi? Non
bien sûr. L'enseignant pouvait affirmer que les
résultats d'un.e élève étaient médiocres sans
susciter la défiance de l'enfant et de ses parents. On
pourrait donc parler d'un système de valeurs qui
change et qui explique en partie une désaffection pour
une psychanalyse, qui, fidèle à ses principes de base,
conserve l'idée qu'il pourrait par exemple y avoir un
lien entre le comportement de l'enfant à l'école, et
le milieu dans lequel il grandit (ses proches et ses
aïeux).
Pour l'autisme non plus il n'y aurait plus de lien à faire, le système de santé devant être le seul porteur de la responsabilité et de la charge. Il serait censé prévoir un pôle de recherche en génétique suffisamment performant pour résoudre ce trouble, ou à défaut, censé le compenser intégralement au sein de la société lorsqu'il apparaît. Et l'on pourrait comprendre aujourd'hui qu'un parent n'obtenant pas ces soutiens d'une société désignée responsable (responsable de ne pas avoir trouvé la solution génétique à l'autisme de son enfant, puis responsable de ne pas être en mesure d'accompagner suffisamment ce dernier pour qu'il ait exactement les mêmes chances q'un.e autre: Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances), puisse réclamer ce que de droit. Mais cela ne doit pas néanmoins nous empêcher de réfléchir au contraste sujet/société qui penche de plus en plus en faveur de la société lorsqu'il s'agit de parler de responsabilité et de charge.
Une époque neuronale
Le
neurodéveloppement différent devient la
neuroexplication de l'autisme, de l'hyperactivité, et
d'autres troubles, qui sont mis sur le même plan que
la dyslexie ou qu'un syndrome comme celui de Gilles de la Tourette, et
justifie donc la mise en place de neurothérapies
visant une reprogrammation neuronale :
- TED (La Thérapie d'Echange et de Développement vise à exercer des fonctions déficientes, à mobiliser l'activité des systèmes intégrateurs cérébraux, réalisant ainsi des rééducations fonctionnelles.);
- Les 3 i (Méthode de stimulation Individuelle, Intensive et Interactive des enfants autistes, basée sur le jeu, et les expériences);
- DENVER...
Les vingt dernières années ont aussi vu l'avènement de nouvelles techniques thérapeutiques centrées sur la stimulation neuronale dont les plus répandues sont les techniques de mouvements oculaires appelées EMDR : Eye Movement Desensitization and Reprocessing, c’est-à-dire désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires. Thérapie recommandée pour le traitement du stress post-traumatique mais qui traite désormais plusieurs troubles dont l'autisme.
La reprogrammation de notre cerveau est par ailleurs sérieusement envisagée par les patrons de Google qui mènent actuellement des recherches poussées dans ce domaine visant l'association homme/machine. Les GAFAM (Acronyme des géants du Web — Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) consacrent en totalité plus de 100 milliards pour la création d'objets connectés toujours plus immersifs dans le but de rendre effective cette association.
Elon Musk (Né
le 28 juin 1971 à Pretoria, est un
entrepreneur, chef d'entreprise et ingénieur
sud-africain, naturalisé canadien en 1988
puis américain en 2002. Il est le
président-directeur général de la société
SpaceX et directeur général de la société
Tesla, après avoir été président du conseil
d'administration de SolarCity et de Tesla.
Il est aussi le fondateur de The Boring
Company, une société de construction de
tunnels),
|
considéré comme le fier représentant de cette mouvance, travaille par exemple à développer au sein de sa société Neuralink (Fondée en 2016 à San Francisco.), la neurotechnologie permettant d'implanter des implants cérébraux d'interfaces neurales directes dans le cerveau humain (L'homme augmenté : transhumain devient donc réaliste avec 96 fils implantés qui sont chacun dix fois plus fins qu'un cheveu, chaque fil comprenant 32 électrodes. Ces fils implantés dans la matière grise par un robot chirurgien sont rattachés à une puce placée derrière l'oreille pour permettre une transmission par Bluetooth avec nos Smartphones.)
Déjà, les ingénieurs de Neuralink nous expliquent sans complexe que leur technologie vise les personnes à motricité réduite, tels que les tétraplégiques ou les patients atteints d'un syndrome d'enfermement ou Locked-in-Syndrome. On comprend alors que la méthode TEACCH n'était que la précurseuse d'une remédiation cognitive (Ensemble de techniques rééducatives visant à restaurer, renforcer ou compenser, les fonctions cognitives défaillantes dans les domaines de la mémoire, de l'attention, des fonctions exécutives, de la cognition sociale.) qui est devenue aujourd'hui une nouvelle norme pour traiter un spectre de troubles de plus en plus large, et qu'il soit tentant d'espérer un jour que ces GAFAM, par des outils d'assistance qui vont finir par se fondre en nous, parviennent à relever le défi de l'autisme.
En conclusion
- Une
explication simpliste pourrait nous donner le sentiment
que ce "plus d'autisme" nous fasse tendre vers un "plus
de normalité", et du même coup nous laisser penser selon
le principe de la courbe de Gauss (Astronome,
mathématicien et physicien allemand considéré
comme un grand esprit novateur, un théoricien
génial ayant découvert de nombreux concepts
mathématiques dont la courbe qui porte son nom.) situant
la rareté dans la pathologie et la fréquence dans la
norme, qu'il s'opère bien progressivement sous nos yeux,
une normalisation de l'autisme depuis 40 ans. Ce nombre
qui ne cesse de croître deviendrait alors comme un
argument imparable pour revendiquer une neurodifférence
légitime. Mais comme l'affirme Franck Ramus, directeur du CNRS :
"Bien que le nombre de diagnostics de TSA ait
considérablement augmenté au cours des dernières
décennies, il y a toutes les raisons de penser que la
majeure partie, sinon la totalité de cette
augmentation soit attribuable à l'élargissement des
critères diagnostiques et à leur application plus
systématique à l'ensemble de la population concernée."
Auteur du livre : Ma vérité sur l'autisme, Jean-Luc ROBERT, N° ADELI : 779301076, consacre essentiellement sa carrière à l'étude et au traitement des troubles du comportement des enfants, notamment des autistes.