L'opinion
: Un mal viral sur les réseaux sociaux
- Janv. 2020
- par Jean-Luc ROBERT
- Psychologue à LezAPe
Plus que jamais, chaque individu,
qu’il soit une personnalité ou un anonyme, chaque
marque ou enseigne, qu’elle soit petite ou une
méga-structure, n’agit qu’à l’aune de la terrifiante
opinion publique qui sévit sur les réseaux
sociaux :
L'anonyme
tombé.e en "dislike" :
Quel.le
adolescent.e
accepte aujourd’hui cet anonymat comme une chose
normale ? Facebook,Twitter,
Google Plus, Tumblr, Linkedin, Viadeo, Meetup,
Instagram, Tik Tok…, depuis
l’avènement de facebook en 2004, les réseaux sociaux
se multiplient de façon exponentielle sur internet.
Les adultes responsables que nous sommes, avons
d’abord pensé qu’il s’agissait d’une occupation
juvénile et inoffensive : Montrer sa face sur
facebook, son beau caniche, sa tarte au citron, ses
amours, bref, étaler sa vie d’adolescent.e en mal de
reconnaissance. Puis nous avons rapidement pris
conscience de la face cachée de l’outil, de son côté
addictif, qui agissait comme une véritable drogue chez
ces sujets. Nous avons vite compris que ce monde
virtuel, loin d’être inoffensif, causait des dégâts
bien réels dans les cœurs et les âmes de nos cher.e.s
ados, qui, insuffisamment liké.e.s, avaient le
sentiment d’être tombé.e.s en « dislike »
et de n’avoir aucune existence valable. Et pis encore,
les rumeurs venant égratigner la réputation des
facebookeur.euse.s, habile manœuvre de quelques
trolleur.euse.s averti.e.s, certains ont même
décompensé (dépressions névrotiques ou délires
psychotiques), désespérés de ne pouvoir restaurer une
image positive d’eux-mêmes. Ce qui comptait désormais
pour ces personnes, n’était pas ce qu’elles étaient
dans la réalité, mais ce qu’on croyait qu’elles
étaient dans le monde virtuel.
Ainsi échaudées, elles se sont mises à réfléchir au "qu’en dira-t-on" sous toutes les coutures avant de poster la moindre photo ou commentaire. Leur obsession? Que rien n’émanant de leur personne ne puisse donner prise à la calomnie. Pourquoi alors ne pas s’extraire tout simplement de ce monde impitoyable en fermant son compte une bonne fois? Certains y parviennent quelques temps, mais s’inscrivent quelques semaines après sur un autre réseau, machinalement, sans même s’en rendre compte.
On s’y brûle les ailes certes, on le déteste, on le quitte, mais on y revient toujours, parce qu'on ne peut se résoudre à faire partie du faible pourcentage d’insignifiants qui n’y figurent pas. Oui, ne pas figurer sur un réseau est aujourd’hui considéré par la jeunesse comme une anomalie notable.
Vous l’avez compris, il n’est donc plus possible de se passer d’exister sur ces réseaux que l’on sait pourtant dangereux. Une solution s’impose alors pour s’y sentir bien, à l’abri des mauvais jugements : s’inventer une vie glamour. Le parfait bonheur ! On voit alors comment, esclaves de l’opinion d’autrui, ces sujets en viennent à fonctionner de façon factice par des selfies qu’ils enjolivent, et en distillant des likes intéressés qui n’ont bien sûr rien de sincère. Pour les plus jeunes et vulnérables (les plus dépendants ne bénéficant pas d'un entourage suffisamment solide), nous sommes probablement là dans la construction d'un narcissisme fragile que le réseau peut faire voler en éclat à tout instant!
Les
personnes connues :
Et pour les personnalités me direz-vous, qu’en est-il ? Je vous répondrais qu’évidemment, celles-ci ont aussi compris que les réseaux sociaux étaient incontournables, mais qu’ils étaient à manipuler avec la plus grande délicatesse. Bien utilisés, ils peuvent en effet s’avérer un trésor pour leur image de marque, mais il suffit d’un tweet envoyé à la va vite, d’une maladresse quelconque, pour sérieusement altérer cette image. Le mal devient alors viral, les traces répandues sur la toile indélébiles. Parfois même, la rumeur enfle alors qu’ils ne parviennent pas à connaître son origine. Comme pour nos anonymes, beaucoup surjouent alors un personnage, dans une tentative parfois vaine de maîtriser leur image. Nous connaissons d'ailleurs bon nombre de célébrités qui, déjà fragiles narcissiquement, n'ont pas survécu à une surexposition médiatique amplifiée aujourd'hui par ces réseaux sociaux, leur moindre faits et gestes étant commentés, puis déformés (fake news etc).
Selon wikipédia, ce que l'on appelle l'opinion publique désigne l'ensemble des convictions et des valeurs, des jugements, des préjugés et des croyances plus ou moins partagées par la population d'une société donnée. Cette définition se situe bien sûr aux antipodes d’une pensée rationnelle et raisonnable. Ainsi, l’opinion publique est capricieuse et imprévisible, elle peut faire et défaire des carrières en un instant. Il n’y a désormais plus un spectacle qui ne se termine par la fameuse formule : « Et surtout n’oubliez pas de nous mettre quelques étoiles sur billetréduc… », l’artiste sachant parfaitement que sa survie dépend en grande partie du bon commentaire.
Les
marques : la guerre des étoiles!
Créer la confiance, soigner son image, depuis longtemps les marques savent que leur marketing ne peut plus se limiter à la simple publicité qu’elles imposent à des clients béats. Elles doivent désormais compter avec les avis (commentaires) de ces derniers, qui eux seuls détiennent le pouvoir d’inspirer la confiance ou la méfiance. Et selon le poids de la marque sur le marché, la méfiance peut se chiffrer en millions d’euros de pertes. Il va alors s’agir de maîtriser le mode d’évaluation cinq étoiles devenu la norme sur internet. Par maîtrise, il faut entendre une manipulation de l’opinion via de faux avis positifs, mais aussi une lutte éreintante contre les vrais avis négatifs, certaines enseignes n’hésitant pas dans ce contexte à proposer au client un remboursement contre le retrait du mauvais commentaire. Ces responsables sont donc pris.es d’une peur panique qu’une mécanique incontrôlable s’enclenche et que la marque soit boycottée par tout un réseau. L’opinion publique en effet capricieuse pour l’artiste comme nous l’avons dit, l’est aussi pour l’enseigne, qui peut voir son image et ses bénéfices sérieusement malmenés par elle.
Dans cette société où le hashtag désormais starifié est utilisé pour tous les combats, dans cette société qui s’indigne de toute inégalité, de toute minorité oppressée (nous ne dirons évidemment pas lesquelles…), les marques en viennent, opinion publique oblige, à pratiquer le politiquement correct à outrance. Il n’est plus question d’oublier une seule communauté dans leur communication, ou de laisser penser qu’elles n’adhèrent pas au bien-pensant, sous peine que des lobbys puissants se rappellent au bon souvenir de ces dernières par une publicité mortelle. Inutile de dire que cette pression entraîne de facto un discours politique de leur part, qui n’a souvent rien d’authentique.
Ainsi, notre constat est le suivant : Les réseaux sociaux ont le terrible pouvoir de dénaturer la communication, de l’anonyme, de la personnalité publique, de la marque ou de l’enseigne, par la terreur de l’opinion publique dont ils sont en grande partie les créateurs.
Auteur du livre : Ma vérité sur l'autisme, Jean-Luc ROBERT, N° ADELI : 779301076, consacre essentiellement sa carrière à l'étude et au traitement des troubles du comportement des enfants, notamment des autistes.