Références théoriques 1
- Juin 2018
- par Jean-Luc ROBERT
- Psychologue à LezAPe
Indissociables?
Evoquer la maternité aujourd’hui,
c’est immanquablement se retrouver confronté à l’idée
que celle-ci ne va pas sans instinct. On parle
d’ailleurs d’instinct maternel comme on parle d’amour
maternel. Les deux termes confluent dans le langage
courant, l’un employé à la place de l’autre et vice
versa ; la maternité semblant être indissociable de
l’amour et de l’instinct. Ainsi, il est rare que l’on
entende parler d’amour maternel sans qu’il soit qualifié
d’instinctif ou d’inné.
La
notion d’innéité opposée à celle d’apprentissage
comprend la part de ce qui existe dès la naissance, la
part de ce qui est transmis génétiquement et qui
s’inscrit dans le patrimoine de l’espèce. L’instinct
maternel à proprement parler, devrait donc être
compris comme la compétence innée des femmes pour la
maternité.
Si l’instinct doit s’étendre à l’espèce toute entière, il faut supposer que chaque femme possède en elle une fibre maternelle en sommeil qu’elle saura infailliblement exploiter le moment venu. L’instinct en effet, ne peut par définition être faillible. Il procède d’une impulsion commandée par l’hérédité, ce qui ne peut le soumettre à la variabilité que connaît la pulsion.
Sigmund
FREUD,
en étudiant le mécanisme du refoulement caractérisant la
névrose, a été amené à faire émerger de l’inconscient des
malades les pulsions refoulées. Ceci l’a conduit à définir
la pulsion comme un facteur d’ordre énergétique
correspondant à la tension interne de l’Instinkt[1],
sans pour autant que celle-ci s’inscrive dans un programme
préétabli et invariable. Seul l’affect d’urgence et
d’impérativité appelant la satisfaction guiderait la
pulsion. Cet affect d’urgence déclencherait la poussée
qu’il appelle la force poussante du Trieb
(impulsion, poussée, en allemand).
Nous comprenons qu’il était nécessaire que la théorie freudienne ne souffre pas de cette confusion entre le biologique et le psychique. L’emploi du terme « instinct » pouvait en effet faire méconnaître le caractère variable de la poussée, biaisant le discours freudien qui était de nous faire comprendre la part des résistances dont l’intensité varie selon la force de la poussée.
Caractère de la maternité (variabilité VS invariabilité)
Aussi, lorsque l’on parle de maternité, il
est nécessaire de s’interroger sur son caractère fluctuant
ou fixe. Si l’on admet l’existence d’un instinct
maternel, on se place dans la perspective d’une prédestination
des femmes pour la fonction maternelle, ce qui assurerait
une certaine constance dans leur attitude et leur
savoir-faire de génération en génération. Le biologique
leur permettrait de façon immuable d'être suffisamment
bonnes[2]
et compétentes. Les défenseurs de l’instinct maternel ne
manqueront pas à cet égard de mettre l’accent sur la
profusion hormonale qui a lieu chez la femme enceinte. Ils
reconnaîtront l'influence de certaines molécules produites
durant la gestation comme déterminantes sur le
fonctionnement mental des femmes. La prolactine, dont le
taux augmente durant la grossesse pour atteindre un
maximum à la naissance de l'enfant, également baptisée hormone
du maternage, est mise en avant dans la contribution
à l'instauration d'un bon maternage. Et la stimulation des
mamelons qui entretient un taux élevé de prolactine,
expliquerait en partie le rôle de l'allaitement dans
l'expression d'un instinct maternel. Ainsi, l’argument en faveur de la programmation
du
corps et de l’esprit pour la maternité, trouve là un
terrain propice à son expression.
Catherine
BERGERET-AMSELEK[3]
affirme que : « Notre psychisme se dilate bel et
bien, comme notre corps tout entier, pour contenir
l’enfant et le laisser sortir. » Si l’esprit n’est
pas préprogrammé, il semble aller de soi qu’il acquière
une nouvelle capacité du fait de l’état de maternité, qui
serait pour la femme une expérience intense de vie. Son
travail effectué auprès des mères en difficulté lui a
donné la conviction que toute femme a accès à l’instinct
maternel. Cette préoccupation ferait partie de l’essence
même de la femme qui serait pourvue de la capacité de
s'identifier aux besoins de son enfant et à ses désirs. Il
s’agirait pour chaque femme en difficulté de retrouver
cette capacité enfouie au fond d’elle-même. Cet
« instinct » ne serait donc pas présent
d’emblée. Elle avance l’idée que les parents grandissent
en même temps que les bébés, surmontant les difficultés
liées aux transformations radicales et définitives de leur
identité. Les rôles changeants, mais aussi les statuts
et les pouvoirs, il s’agirait pour les mères de gérer au
mieux ce bouleversement, et d’aller chercher cette
capacité inscrite en elles que serait l’instinct maternel.
Toujours dans la lignée d’une position intermédiaire se voulant malgré tout pro-instinct maternel, nous pouvons citer W. SLUCKIN, M. HERBERT, et A. SLUCKIN[4], qui affirment que la tendance normale de tout être humain est, comme c’est le cas chez de nombreuses espèces animales, de s’occuper de ses petits. Selon ces auteurs, tout être vivant est constitué d’une part de génétique et d’une part provenant de l’environnement, mais l’être humain se trouvant en haut de l’échelle de l’évolution, il serait moins réceptif à son héritage génétique, l’éducation jouant un rôle prépondérant.
Nous voyons donc que le fait que l’instinct puisse être dominé par le contexte socio-culturel ne semble en rien gêner ces auteurs, qui admettent ainsi que l’on peut par apprentissage aller contre la nature. L’instinct ne serait pas cette force primitive et constante chez tous, mais connaîtrait une certaine variabilité selon les influences du milieu.
Mais qu’est-ce qu’un instinct qui se manifesterait chez
certains et pas chez d’autres ? C’est la question que
soulève la philosophe Elisabeth
BADINTER. En effet, si l’on considère davantage l’aspect pulsionnel, on
envisage alors que la poussée puisse varier d’une mère à
l’autre. Cette force malléable serait sensible aux
considérations d’ordre temporel, social et culturel. En
retraçant l’histoire sociologique de la maternité,
l’auteure a voulu démontrer l’inconstance de l’amour
maternel qui a beaucoup fluctué au cours des
derniers siècles. Son étude l’amène à constater que
l’amour maternel relève d’un « comportement social
variable selon les époques et les mœurs »[5].
Elle nous interroge sur le caractère constant
qu’impliquerait l’instinct maternel. L’argument en faveur
de l’instinct ne relèverait-il pas plus d’une pression
sociale visant à ce que la femme trouve son
épanouissement exclusivement dans la maternité ?
Les précieuses du XVIIe siècle avaient renoncé à la maternité faute de pouvoir connaître une réelle égalité avec les hommes ; aujourd’hui certaines femmes souhaitent certes ne plus être obligées d’enfanter pour être reconnues et respectées, mais demandent aussi le partage de toutes les charges du maternage et de l’éducation si elles faisaient le choix d’enfanter.
Chaque époque contient donc son lot de revendications et de comportements adaptés. Elisabeth BADINTER démontre que le comportement maternel des mères a lui aussi su s’adapter à chaque contexte social au grand dam du vieil instinct dont on n’a jamais voulu les déposséder.
Jean-Marie DELASSUS met également l’accent sur le manque d’uniformité de la maternité comme preuve que celle-ci ne relève en rien d’un programme génétique. Il parle d’un « équilibre suffisant » [6] nécessaire à la mère, équilibre relevant d’une nature psychique et qui viendrait compléter l’équipement biologique.
Caractère de la maternité (normalité VS anormalité)
Si l’on admet qu’une mère peut manquer d’instinct, il faut alors aussi admettre qu’elle peut être considérée comme une femme anormale ayant souffert d’un quelconque dysfonctionnement dans son développement psychique, pareillement à une femme dont l’appareil génital du fait d’une anomalie, ne serait pas apte à concevoir un enfant.
Il semblerait qu’il y ait comme un parallèle effectué entre l’appareillage biologique de l’enfantement dont toute femme est systématiquement et normalement pourvue à la naissance, et l’appareillage psychique adéquat, qui permettrait aux mères d’être aptes à élever leur progéniture.
Elisabeth
BADINTER rebondit sur la spécificité anatomique de la femme. « c’est la
mère qui en a… » explique-t-elle pour expliquer
l’indulgence accordée à l’homme, qui logiquement se trouve
dans un rapport moins fusionnel avec l’enfant. La mère,
qui a été reliée à l’enfant par le cordon ombilical et qui
l’a porté en elle, devrait de ce fait le considérer comme
une part d’elle-même, dans un rapport instinctuel auquel
le père ne pourrait qu’être étranger. Lors de
l’allaitement également, on retrouverait cette fusion de
l’un dans l’autre. Le père quant à lui, devrait se
contenter du contact de l’un avec l’autre.
Cette indifférenciation entre le psychique et le biologique, est probablement à l’origine de cette
incompréhension envers celles qui n’auraient pas
conservé intact le cordon symbolique, à défaut de pouvoir conserver le lien
biologique. Ce cordon symbolique serait un amour
systématique et inconditionnel pour sa progéniture, un amour
immédiat.
L’héritage psychanalytique
Le discours psychanalytique hérité de Sigmund FREUD a eu le mérite de nous faire reconnaître l’importance du psychisme dans le développement humain, mais a aussi eu le démérite de jouer son rôle dans une sorte de normalisation de la maternité pour la femme. Il nous explique comment le désir d’enfant se met en place chez la femme, en se substituant au désir de pénis dans un lien bien plus complexe pour elle que pour l’homme. Un développement normal devra permettre à la fille de connaître une poussée de passivité qui l’aidera à renoncer à posséder le pénis et à changer d’objet d’amour.
La théorie du monisme sexuel phallique de Sigmund FREUD, explique en effet que le garçon comme la fille ignorent l’existence du vagin, et sont tous deux tournés vers le phallus avec la mère pour objet d’amour. La fille connaîtra donc la double difficulté de devoir changer d’objet d’amour (mère VS père) et de devoir changer d’objet de satisfaction (clitoris VS vagin). Cette phase préœdipienne qui est l’attachement à la mère, serait pour la fille une complication supplémentaire mais indispensable. Elle est d’abord une complication dans le sens où une fixation trop forte à la mère clitoridiennement convoitée peut entraver l’évolution féminine, mais elle est aussi nécessaire, voire indispensable, dans le sens où faire l’économie de cet attachement préœdipien serait pour la femme courir le risque d’un manque d’intériorisation qui lui serait fatal lorsqu’il lui faudrait être mère à son tour. Dans le même ordre d’idée, Marie BONAPARTE signale que le manque d’identification à la mère serait pathogène pour la fonction érotique maternelle, et entraînerait une absence d’instinct maternel.
La psychanalyse nous explique donc que le processus de la maternité se met en place progressivement et va bien au-delà d’une simple histoire d’hérédité. Elle met l’accent sur l’importance de l’identification à la mère qui se déroule de manière différente selon les contextes et les histoires individuelles. Une identification saine dans un complexe d’Œdipe ordinaire devrait par conséquent permettre aux femmes de bien vivre leur féminité et tout ce qui la caractérise. Du même coup, l’on est bien obligé de déplorer que celles qui n’auront pas de désir d’enfant ou qui manifesteront un quelconque rejet de leur enfant, ne pourront pas, de ce point de vue, être considérées comme normales. Une contrariété aurait entravé le bon déroulement du processus identitaire de ces mères dénaturées. Nous pouvons citer à ce titre Georg GRODDECK qui affirmait que les femmes qui haïssaient leur mère n’avait pas d’enfants.
Le discours psychanalytique freudien va par conséquent dans le
sens d’un idéal de la maternité pour
la
femme, et de ce fait, discrédite quelque peu toutes celles
qui dévient de cet idéal.
Le défaut de lien ou la mère
indigne !
L’idée d’un amour maternel qui va de soit ne peut que jeter l’anathème sur les mères dans la difficulté et rendre leur souffrance incompréhensible. Jean-Marie DELASSUS[7], dans un chapitre consacré à la difficulté d’être mère, explique bien que la souffrance maternelle est muette parce qu’elle fait honte aux femmes qui l’éprouvent. L’exclusion guette en effet ces femmes considérées comme incapables. L’auteur insiste sur le fait qu’il s’agit d’une souffrance méconnue, engendrant une réelle détresse cause de dépression. Mettre en avant la dépression du post-partum pour expliquer la douleur maternelle est selon lui retourner le problème, et ignorer que la douleur de la mère provient de son sentiment d’indignité face à ce manque d’attachement qu’elle constate chez elle. La douleur serait donc à l’origine de la dépression et non l’inverse. Abriter la souffrance maternelle derrière des termes comme « dépression du post-partum » est, pour cet auteur, une façon de méconnaître cette souffrance.
Dans ce monde où l’identité de la mère est remise en
cause, le sens de la souffrance maternelle serait faussé.
Selon les cas, les services sociaux
auront pour objectif de déposséder la mère de son pouvoir
en l’écartant de l’enfant au lieu d’entendre sa
souffrance. Jean-Marie DELASSUS
parle
« d’un bel empressement au niveau du bébé et d’un oubli
total de la mère. »[8]
Paul-Claude RACAMIER[9] affirme quant à lui que cette séparation précoce un peu hâtive, ne permet aucunement à la mère de contrôler ses fantasmes, la séparation ne pouvant que la conforter dans l’idée qu’elle est dangereuse pour l’enfant et accentuer sa frayeur. Il préconise l’introduction d’intermédiaires encourageants qui auraient pour objectif de la soutenir et de l’aider à gérer au mieux ses fantasmes, d’où la nécessité de lui fournir, à elle ainsi qu’à l’enfant, un milieu protecteur tel que le milieu hospitalier.
Il semblerait logique en effet que ces mères souffrant
d’un défaut de lien soient aidées de manière
quasi-systématique à mûrir leur attachement à leur enfant.
Or ce n’est pas toujours le cas, et l’on peut s’interroger
sur les raisons d’un manque d’assistance de ces
femmes dans leur fonction maternelle.
Une première explication logique est de dire que la mise en place de services spécialisés tels que les unités mère-bébé nécessite de nombreux moyens. Le motif économique qui expliquerait le défaut de prise en charge n’est certes pas à négliger, mais l’on peut aussi se demander si ces agissements ne représentent pas une forme déguisée de bannissement de ces mères provenant de l’incompréhension qu’elles suscitent.
Mais sans mettre l’accent sur un ancrage
qui serait biologique, il s’impose à nous l’idée que
quelque chose de très intense se joue lors de la
découverte mutuelle qui s’opère au cours des tous premiers
jours. Il s’agit du phénomène d’empreinte validé par la communauté scientifique. De nombreuses
expériences ont montré chez l’animal qu’un attachement
sélectif de la mère à ses petits se fait au cours
des tous premiers jours qui suivent leurs naissances. Konrad LORENZ a pu montrer que les jeunes oies et les
jeunes canards ont une aptitude, limitée dans le
temps, à suivre tout être ou objet répondant à certaines
caractéristiques.
L’apport intéressant de cette découverte est qu’il n’est
pas toujours nécessaire qu’il s’agisse d’un parent. L’imprégnation,
du fait qu’elle se produit alors que la réaction à l’objet
n’est pas encore formée, peut avoir lieu avec différents
objets, y compris un être humain. Il nommera empreinte ce
phénomène qu’il qualifie d’irréversible et
l’étendra à de nombreuses espèces animales. Ce concept
d’empreinte s’est ensuite élargi à la psychologie pour
désigner un processus d’attachement social qui se déroule
de façon rapide, et qui intervient précocement dans le
développement de l’individu.
Nous voyons là comment le concept d’attachement se
répand au-delà du biologique. Il apparaît comme
une nécessité à la survie de l’espèce. Il est donc
nécessaire au tout petit de se fixer à un objet quel qu’il
soit, la qualité de son attachement ne dépendant pas des
liens du sang.
John BOWLBY[10] démontrera également l’importance de l’attachement du petit à l’égard du premier objet de par la valeur essentielle d’assurance que revêt la mère. Cet attachement privilégié est à différencier des autres secondaires que le jeune peut contracter, qui seront toujours moins intenses. Cet auteur considère que la recherche et l’approche de la mère par le bébé sont des comportements qui assurent la protection du bébé vis-à-vis des prédateurs potentiels de l’espèce.
Comment croire alors qu’une femme qui a enfanté puisse
être étrangère à tous ces phénomènes jugés naturels ? Une
mère qui ne s’attache pas à son enfant n’est-elle pas une
bizarrerie au vu de tous ces processus usuels que
l’on a remarqués chez les primates ainsi que chez les
humains ? Si la mère sans amour choque la morale du commun
des mortels, elle ne représente pas moins un défi à la
morale des personnels des services sociaux, qui se
trouvent constamment confrontés à ce
« non-sens » qui les laisse pantois. Il est par
conséquent vraiment légitime de se demander si l’obstacle
premier à l’accompagnement des mères dans leurs
difficultés n’est pas la répulsion qu’elles
suscitent, sous-tendue par la forme ressentie comme contre-nature
de leur difficulté.
D’un extrême à l’autre
Si la mère distante souffre de l’incompréhension de tous et se trouve parfois destituée, la mère envahissante elle, est rarement jugée indigne et bénéficie au contraire fréquemment d’une opinion favorable exempte de toute critique.
Catherine SERRURIER[11] affirme que ces femmes au-dessus de tout soupçon, sont facilement prises comme modèle. Seules les difficultés patentes rencontrées par leur enfant pourront dans la majorité des cas lever le voile sur la nocivité de leurs agissements.
Difficile en effet de voir de prime abord une quelconque nocivité dans l’attitude d’une mère bienveillante qui veille en permanence à combler les manques de son enfant avant qu’ils ne se présentent. N’était-ce pas après tout le modèle vers lequel les Rousseauistes du XVIIIe siècle voulaient voir tendre les mères ?
Aujourd’hui perdure l’idée qu’une mère n’est jamais trop attentionnée pour son enfant, et l’on n’aurait idée de vouloir la soulager de son mal par une prise en charge thérapeutique.
A notre sens, la nuisance d’un amour trop envahissant est
sans doute considérée comme moindre parce qu’elle souffre
de la comparaison avec la nuisance occasionnée par un
défaut d’amour. L’essentiel semble effectivement être que
l’amour soit présent quelle que soit la forme qu’il prend.
Dans ce genre de comparaison, l’impression demeure que
trop vaut mieux que pas assez, et qu’il n’est pas
raisonnable de se plaindre du trop par respect pour ceux
qui connaissent le manque.
Pourtant, la souffrance de ces enfants, nous sommes tentés de dire, abusés, est bien réelle. Catherine SERRURIER[12] s’épanche sur le sort dramatique de ces petits surprotégés demeurant à jamais tus dans l’ombre de leur mère : « Cet enfant ne vit pas ! … Il ne fait pas de choix personnels… Il est à jamais empêché. » Elle relate le cas de Georges, un fils de mère « abusive » qu’elle qualifie d’épave.
Nous ne pouvons donc ignorer que dans bien des cas,
l’apparence lisse d’une relation harmonieuse entre la mère
et l’enfant ne laisse en rien présumer à quel point ce
couple fusionnel fonctionne dans la douleur. Si les
manifestations souvent bruyantes de la détresse de la mère
distante alertent et suscitent l’inquiétude pour le
devenir de l’enfant, les signes révélateurs d’un
malaise chez la mère envahissante comme chez l’enfant
envahi, resteront longtemps indécelables, et
n’aboutiront jamais au blâme que connaissent les
premières. Pourtant, au regard de l’expérience, nous
savons que la « mère sourde » dont parle Michèle BENHAÏM[13]
compromet dangereusement l’autonomisation
de l’enfant qui ne peut envisager un quelconque
affranchissement, l’émancipation devant nécessairement
passer par une négociation possible avec une mère qui
n’est pas sourde aux désirs de celui-ci.
Catherine SERRURIER décrit également cette mère abusive[14], pleine de bonnes intentions, qui ne ressemble en rien à la marâtre repoussante dont les agissements sont clairement interprétés comme mauvais. Cette mère qui « veut être une bonne mère et qui croit l’être »[15] n’en demeure pas moins étouffante ! Elle est parfaitement nourricière et protectrice comme le voudrait l’attente collective, mais le défaut se trouve bien dans l’excès comme l’exprime l’adjectif « abusive ».
[1] Terme allemand utilisé par Sigmund FREUD pour désigner des schèmes phylogénétiques héréditaires.
[2] Selon le propos de Donald Wood WINNICOTT, 1956, dans De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1980.
[3] Catherine BERGERET-AMSELEK (psychanalyste), Le mystère des Mères, Paris, Desclée de Brouwer, p.70, 1997.
[4] W. SLUCKIN, M. HERBERT, et A. SLUCKIN, 1987, Le lien maternel, Bruxelles, Pierre Mardaga éditeur, p.117, 1987.
[5]
Elisabeth
BADINTER, L’amour en plus : histoire de l’amour maternel,
Paris, Flammarion, p.1, 1980.
[6] Jean-Marie DELASSASUS, Le sens de la maternité, Paris, Dunod, p.154, 1995.
[7] Jean-Marie DELASSASUS, Op. Cit., p.155, 1995.
[8] Jean-Marie DELASSASUS, Op. Cit., p.158, 1995.
[9] Paul-Claude RACAMIER, A propos des psychoses de la maternité, in Mère mortifère, mère meurtrière, mère mortifiée, pp. 41-50, 1 vol. E.S.F., 1979, 3e édit.
[10] J. BOWLBY, The making and breaking of affectional bonds, Londres, Tavistock, 1979.
[11] Catherine SERRURIER, Eloge Des Mauvaises Mères, Paris, Epi, p 56, 1996.
[12] Catherine SERRURIER, Op. Cit., pp.56-57.
[13] Michèle BENHAÏM, La folie des mères, J’ai tué mon enfant, Paris, Imago, 1992.
[14] Catherine SERRURIER, Op. Cit., p.55.
[15] Ibid., p.55.
Auteur du livre : Ma vérité sur l'autisme, Jean-Luc ROBERT, N° ADELI : 779301076, consacre essentiellement sa carrière à l'étude et au traitement des troubles du comportement des enfants, notamment des autistes.