Un
métier miroir de la personnalité?
- Juill 2020
- par Jean-Luc ROBERT
- Psychologue à LezAPe
Est-ce par hasard?
"Quand je
serai grand je serai...". Puis l'enfant dira
quelques années après : "Quand je serai grand je
voudrais être...". Puis encore plus tard, il
finira par dire avec amusement : "Quand j'étais petit.e
je voulais être...". Qu'a-t-il pu se passer entre
un : "je serai" affirmé péremptoirement, et un "je
voulais" amusé nous montrant qu'une certaine distance a
été prise avec ses rêves enfantins?
Il s'est
passé que notre personnalité a évolué, qu'elle a gagné
en maturité. La vie avec ses découvertes ou ses
épreuves, a constamment agi sur cette personnalité, la
faisant ainsi muer, guidant ses choix. Il y a bien sûr
ces prédispositions évidentes qui font qu'un sujet
matheux peut prétendre ne jamais avoir eu à réfléchir
trop longtemps face à une équation mathématique, tout
comme un artiste est à son aise face à un support
vierge. Mais que cela concerne plus l'inné que l'acquis
ou inversement, la question reste entière : Existe-t-il
un lien inconscient entre les métiers que nous
exerçons et notre personnalité?
Ce que disent les enfants
En psychanalyse, l'enfance reste le socle incontournable permettant de comprendre le développement d'une personnalité. Si l'on écoute donc ce que disent les enfants lorsqu'on leur demande le métier qu'ils souhaitent exercer plus tard, on se rend compte que leur choix est très lié à leur vécu émotionnel. Il suffit qu'un médecin bienveillant les guérisse pour qu'ils souhaitent devenir médecin en oubliant que la semaine précédente, ils souhaitaient devenir maître.sse ou pompier. Ces changements fréquents nous enseignent que la personnalité immature de l'enfant l'amène spontanément à avoir des certitudes, n'étant pas en mesure de se représenter ce qu'implique vraiment ses voeux (choix d'études - une voie en excluant une autre pour un temps déterminé - ou autres contraintes liées au métier choisi).
Mais plus
l'enfant gagne en maturité, et moins généralement ce.tte
dernier.e est sûr.e de son choix. Il.elle commence à
réfléchir et à intégrer plusieurs paramètres. "Et si ce
métier était ennuyeux au final?", "Et puis, suis-je
suffisamment doué.e pour les mathématiques? ou pour le
sport? Apparemment non". "Pourrai-je me réorienter
facilement si je fais ce choix?"
Un
parallèle pourrait être fait avec l'écriture ou la
signature de chacun qui évolue beaucoup jusqu'à un
certain âge avant de se stabiliser. Nous différencions
sans peine la copie d'un.e élève de CM2 de celle d'un.e
collégien.ne. Plus mature encore sera celle de
l'universitaire, qui sera très proche de celle
qu'il.elle pourra rendre une fois adulte.
Une écriture qui me va
On
pourrait dire que l'enfant cherche sa signature ou son
écriture tout comme il cherche à construire sa
personnalité de manière stable, et que, contrairement à
ce nous pensons, il cherche aussi dès son plus jeune âge
sa future activité professionnelle. Ne les entend-t-on
pas dire alors : "Je cherche une écriture qui me
ressemble, ou un écriture qui me va" lorsqu'on leur
demande la raison de ces changements de style? La tenue
vestimentaire, le langage, les goûts musicaux ou
cinématographiques..., tout cela change très vite,
témoignant d'une personnalité en constante évolution.
Il n'est
donc pas question de dire qu'une fois adulte, la
personnalité n'évolue plus, mais de dire qu'elle évolue
bien plus lentement. Alors que l'enfant que nous étions
pouvait changer de signature, d'écriture, ou de "métier
préféré" tous les mois, une fois adulte, notre signature
se fixe entre 18 et 25 ans, et notre écriture ne connaît
que 2 ou 3 changements majeurs, tout comme notre
orientation professionnelle. En tant qu'adulte
raisonnable en effet, nous savons que nous ne pouvons
nous désengager d'une voie prise en un claquement de
doigts, et que changer pour une lubie n'aurait au final
rien de satisfaisant.
Un métier qui ne me va pas :-(
Bien des
adultes ont en effet conscience que leur situation
professionnelle n'est pas celle qui convient le mieux à
leur personnalité, mais savent aussi qu'on ne construit
rien dans l'instabilité. Rêver d'un changement est une
chose, le réaliser dans la réalité en est une autre. On
se résigne alors à ne plus quitter la voie adoptée,
préférant "apprécier" ses avantages plutôt que de
détester le verre à moitié vide qui chaque jour s'impose
à soi.
D'un point de vue psychologique, on peut aussi se dire que ce mauvais choix n'est pas le fruit du hasard, et que cette situation dit quelque chose de notre parcours de vie : "Je m'intéresse à l'humain, j'aime aider les autres, et je me retrouve à mettre au point des algorithmes puissants pour des traders qui m'accordent moins d'importance qu'ils en accordent à leurs écrans" dira Louis désabusé. "Pourquoi n'ai-je pas pu m'orienter vers un métier de soin ou d'écoute, qui comme je le pense m'aurait mieux convenu?"
Un métier qui me va :-)
Inversement,
certaines personnes exercent des métiers qui cette fois
leur conviennent parfaitement. En étudiant leur parcours
de vie, nul doute alors qu'un lien est à faire entre la
construction de leur personnalité et la place très
particulière qu'ils occupent dans le monde professionnel
et au sein de notre société.
Il nous intéressera de développer ici cette concorde entre la personnalité d'un sujet et son métier :
Tel métier, telle personnalité : quand son métier matche parfaitement avec sa personnalité.
La parfaite concorde!
Nous
venons de voir qu'il arrive malheureusement trop souvent
que la concorde ne soit pas parfaite et que le sujet en
souffre. Dans ce cas tout de même, il nous semble que ce
mauvais choix n'est pas le fruit du hasard, bien que le
sujet pense que des circonstances malchanceuses aient pu
agir contre sa volonté. Mais il arrive aussi que le
choix du métier soit en parfait accord avec ce que
certaines personnes sont, et ce qu'elles recherchent. La
plupart du temps, elles tirent alors un certain plaisir
à exercer leur profession. Il est par exemple banal de
dire qu'une personne qui aime profondément la nature et
l'activité physique, sera plus épanouie en exerçant le
métier de guide de montagne qu'en se retrouvant coincée
dans un open space face à un ordinateur casque vissé sur
le crâne. Elle pourrait aussi être paysagiste urbain ou
développer une activité de tourisme vert bref, faire de
sa passion une profession épanouissante.
Mais l'on
peut aussi trouver son compte à exercer une profession
qui correspond chez soi à certains traits de caractères
très prononcés, fussent-ils peu glorieux :
>
Une personnalité obsessionnelle pourrait ainsi se
sentir à son aise dans des activités de tri ou
d'archivage qui en agacerait plus d'un.e. Cette personne
qui ferait le bonheur de son employeur, pourrait par
exemple se passionner pour la recherche d'articles
spécifiques dénichés dans une littérature juridique
indigeste pour beaucoup.
>
Une personne manquant de confiance en elle ou une
personne autiste pourrait aussi apprécier
d'exercer un métier proposant des tâches très
répétitives telles que la gestion d'une caisse, d'un
programme informatique, ou d'un modèle à reproduire
manuellement (menuiserie et autres constructions avec
schéma). Cette personne ferait quoiqu'il en soit tout
son possible pour ne pas se retrouver dans un poste à
pouvoir décisionnel où l'on pourrait la juger ou
s'opposer à elle. L'idéal étant pour elle d'avoir la
parfaite maîtrise d'une tâche qui ne pourrait pas
comporter d'imprévus, et qui ne nécessiterait aucune
touche personnelle. La
créativité va en effet de pair avec l'incertitude et
une imprévisibilité déstabilisante pouvant conduire à
la catastrophe d'un échec annoncé.
Le ou la délégué.e de classe
> Une
personne aimant décider/le pouvoir : Tout
au contraire, les personnes n'aimant pas être à une
place d'exécutant.e et pourvues d'un minimum de
confiance en elles, peuvent rechercher des postes à
responsabilité, quitte à devoir en supporter les
conséquences.
Je vous
propose maintenant un petit flash back toujours
indispensable vers notre enfance : Souvenez-vous. Quelle
était la personnalité du ou de la déléguée de votre
classe ? Etait-ce une personne timide ou qui dégageait
une certaine assurance? Etait-ce une personne qui
paraissait plus mature que les autres? A-t-on dû la
supplier d'occuper cette place? En d'autres termes,
était-ce le fruit du hasard? Non bien sûr. On voit dès
le plus jeune âge combien il importe à certaines
personnes que les choses filent exactement comme elles
le souhaitent, et les stratégies mises en place pour
avoir le statut qui permet cela.
Observer
une cour de récréation est aussi de ce point de vue très
instructif. Il y a les enfants qui organisent les jeux,
fixent les règles, toujours les mêmes, et les enfants
qui suivent voire subissent ces règles, toujours les
mêmes. Il y a les enfants qui gagnent à ces jeux, et
ceux.celles qui perdent assez systématiquement. Il y a
ceux.celles qui pleurent souvent et ceux.celles qui
rigolent, ceux.celles qui tyrannisent, qui sont des
chefs de bande, et les autres. Des traits de caractère
déjà puissants à cet âge là, agissent pour permettre à
l'enfant d'occuper une certaine place dans sa cour de
récréation, dans sa classe, son école, et même dans son
quartier.
Une association parfois pernicieuse?
Il n'y a
certes pas de déterminisme qui soit "indémolissable",
mais quand même, l'enfant qui aime imposer ses règles
dans la cour de récréation pourrait bien être fortement
intéressé.e par la haute fonction de délégué.e de
classe, puis, presque par inadvertance, se retrouver
délégué.e des parents d'élèves une fois adulte. Cette
même personne pourrait encore se faufiler parmi les
membres du conseil syndical de votre copropriété, être
l'avocat.e, ou même le.la juge qui vous condamnera sans
état d'âme. Caricature à l'emporte pièce me direz-vous?
Sûrement.
Mais
comment ne pas être curieux de l'enfance du patron
acariâtre qui prend un malin plaisir à voir ses
employé.e.s sursauter lorsqu'il braille soudainement?
Pourrait-il s'agir d'une "association diabolique" entre
une personnalité particulière et un statut professionnel
sur-mesure lui autorisant ces débordements? Comment ne
pas s'intéresser également à l'association qui pourrait
faire qu'un.e DRH soit loin d'être gêné.e par la tâche
ingrate de devoir monter des dossiers véreux ayant pour
finalité de se débarrasser de salarié.e.s pourtant
méritant.e.s? Ou encore, comment se construit la
personnalité d'un.e membre d'un conseil syndical de
co-propriété qui, comme certains enfants faisant
injustement subir des sévices à leurs pairs, persécute
d'autres propriétaires par la grâce du petit pouvoir que
lui confère son statut. Et que dire de l'avocat.e qui
dupe sciemment un.e juge afin de faire condamner sans
vergogne une personne qu'il.elle sait être innocent.e?
Nous
pourrions ainsi démultiplier ces exemples à foison sans
oublier de dire qu'il n'y a rien de linéaire en
psychologie, à savoir que tous les postes à
responsabilité ne sont pas systématiquement occupés par
les personnes pré-citées, qu'un.e enfant timide,
martyrisé.e par ses pairs/proches, ne sera pas forcément
un.e employé.e timoré.e subissant les affres d'un patron
tyrannique, et inversement, qu'un.e enfant
dominateur.trice, ne deviendra pas forcément le.la DRH,
l'avocat.e, ou le.la membre du conseil syndical dont
nous parlions.
Il nous
importe simplement d'expliquer que toutes ces places
"étranges" qu'occupent certains individus d'une
manière particulière, ne sont jamais occupées de
cette manière par hasard. Même la dame du fond là
bas. Oui, l'employée administrative qui ne valide pas
votre dossier dès qu'elle le peut. Contrairement à
certain.e.s collègues, elle a tendance à rejeter les
dossiers d'un ton "pète-sec" pour le motif qu'il y
manquerait une pièce qu'elle juge fondamentale. Vous
êtes bien sûr mal tombé.e. Elle connaît parfaitement
cette heure et demi d'attente qui vous a paru une
éternité et qu'elle balaie d'un revers de main. Et
figurez-vous que plus vous criez avec rage en montrant
votre désarroi, plus la place qu'elle occupe au sein de
cette administration lui convient.
Auteur du livre : Ma vérité sur l'autisme, Jean-Luc ROBERT, N° ADELI : 779301076, consacre essentiellement sa carrière à l'étude et au traitement des troubles du comportement des enfants, notamment des autistes.