Quand
l'école dit stop!
- Fév 2020
- par Jean-Luc ROBERT
- Psychologue à LezAPe
Après moult avertissements,
le verdict tombe : votre enfant est renvoyé.e de son
école. Votre sentiment : De l'amertume? De l'injustice?
De la frustration? N'aurait-on pas pu lui donner une
autre chance? Une toute dernière? Réalisent-ils
seulement à quel point cette décision est choquante et
humiliante pour un parent? Et pour l'enfant? Ont-ils
seulement pensé à ce qu'il.elle pourrait ressentir?
Cela les surprend souvent et leur paraît surréaliste : "On
pensait que son comportement posait problème mais pas
au point qu'on le.la renvoie. Si seulement on nous
avait dit que cela pouvait vraiment se produire..."
Souvent oui, ce renvoi de l'école
est très marquant pour des parents désemparés, devant,
comme l'enfant, faire face à un saisissant sentiment
d'échec et/ou d'impuissance.
A lire aussi : https://bx1.be/news/le-desespoir-des-familles-face-au-poids-de-lexclusion-scolaire-une-association-tente-de-les-epauler/
Effet de sidération VS défense maniaque :
L'annonce du renvoi est pour eux
comme un cauchemar devenu réalité. Ce mauvais rêve
qu'ils ont fait de nombreuses fois les plonge d'abord
dans un état de stupeur émotive. Ils restent là, K.O,
comme tétanisés. Cet état de sidération normal, peut
durer 5 min ou plusieurs heures. Le silence pèse lourd,
alors que l'enfant/adolescent.e, a quant à lui.elle
tendance à poursuivre sa vie comme si cette annonce
était quelconque et n'avait pas d'emprise sur lui.elle,
se montrant
même
parfois
euphorique.
Les parents sentent alors la moutarde leur monter au
nez.
Mais il ne faut pas se méprendre sur ce comportement
défensif visant à dénier la douleur consécutive à cet
échec. Cette réaction par l'excitation, ce mépris pour
la sanction annoncée, ce mépris par le triomphe, entrent
dans le cadre d'une tentative de maîtrise
toute-puissante de la perte que
l'enfant/adolescent.e doit supporter. Ainsi, le sujet a
le sentiment de triompher du coup qu'on lui porte en se
disant : "Même pas mal", et cherche à se
convaincre d'un sentiment d'indépendance ou de liberté
qui ferait que personne n'aurait d'emprise sur lui. Hors
d'atteinte, se croit-il, mais nous savons qu'il
s'agit en réalité d'un triomphe illusoire. Nous
parlons alors en psychologie d'une défense maniaque.
Cette défense qui lutte un temps contre le sentiment
dépressif, n'empêchera pas bien sûr l'élève d'être plus
marqué.e qu'il.elle ne voudra bien l'admettre. Jamais
il.elle n'oubliera cette éviction "honteuse". Et si le
mépris dont nous parlions ne devait pas être une défense
maniaque mais un réel mépris, un vrai
"je-m'en-foutisme", cela serait un très mauvais signe,
et nous pourrions alors être très inquiets pour le
devenir cet.te élève.
Colère
et revanche!
Car enfin, on aurait quand même pu
l'avertir une dernière fois : "Et puis cette école
n'a jamais aimé notre enfant. Elle ne nous a jamais
appréciés. Ils n'ont pas su le.la comprendre. Ils
n'ont pas voulu prendre le temps pour l'aider. Ils
sont jaloux de notre situation. Je les déteste! Je les
méprise! On va leur montrer qu'on vaut mieux que ça.
On vaut mieux qu'eux". Quelle que puisse être la
teneur de cette petite musique colérique qui vient aux
oreilles des parents, elle est comme un passage obligé
pour qu'ils parviennent à réaliser, à accepter, puis à
se remobiliser.
La mobilisation :
Sans
cette étape que l'on peut identifier dans tout
processus où un sujet pense subir une injustice, la
mobilisation est difficile, le sujet restant déprimé
et sans ressources pour agir. Oui, l'acceptation puis
la mobilisation passent aussi par la colère, voire par
un esprit revanchard : "Prouvons-leur qu'ils se
sont trompés (sur toi et sur nous)".
Quel conseil avisé oserait alors aider ces parents à
aller vers la dernière étape du processus que l'on
pourrait appeler : la prise de conscience?
Manquant de recul, beaucoup sont en effet incapables
dans l'immédiat, d'envisager les effets bénéfiques que
pourrait avoir à terme le renvoi de leur enfant. Et
pourtant...
Sentiment
de culpabilité : Vers la prise de conscience?
Le sentiment de culpabilité peut
se mêler à la colère, survenir pendant l'étape de la
remobilisation, ou ne jamais être ressenti.
Parmi les questions courantes on peut noter celles-ci :
> Ai-je raté quelque chose dans l'éducation de mon
enfant?
> Aurais-je pu mieux faire?
> Aurais-je dû voir un.e psychologue plus tôt?
Ai-je été négligeant.e?
> Suis-je un mauvais parent?
...Tant de questions sans réponses qui peuvent
tenailler les parents.
Cette étape normale qui fait pour nous partie du
processus, renforce la mobilisation, et permet une
avancée dans le travail.
Un coup dur salutaire?
En tant que clinicien.ne.s et
thérapeutes de l'enfant concerné.e, nous vivons à
LezAPe cette situation comme un échec, et nous
accompagnons de notre mieux la famille dans cette
difficulté. Mais nous
considérons aussi être à la bonne place pour leur
dire, lorsque nous les sentons prêts à l'entendre, que
l'école a sans doute marqué là une limite salutaire
pour le devenir de leur enfant. Peut-être même
qu'en le renvoyant, l'école a-t-elle posé l'acte le
plus thérapeutique qui puisse être pour lui.elle.
Car en effet, on peut considérer l'école comme une
micro-société où l'enfant apprend à respecter les
contraintes de la société dans laquelle il évoluera plus
tard. Quel serait le devenir d'un.e élève qui ne
respecterait jamais les limites posées par l'école et
qui se verrait averti.e indéfiniment sans être
renvoyé.e? Ne trouvant jamais les limites de la
micro-société dans laquelle il évolue, il ne pourrait se
structurer lui-même et comprendre que la société dans
laquelle il évoluera adulte n'aura pas l'indulgence
qu'on a eue envers lui durant son enfance. Il
pourrait donc penser à tort que la vie n'est faite que
d'avertissements ou de petites sanctions qui ne
prêtent jamais à conséquence. Or, nous savons que
croire cela est se situer en dehors de la réalité. L'apprentissage
par l'expérience (punition négative au sens
comportemental) est donc ici un mal nécessaire.
Notre société d'adultes ne tolérant aucun dérapage en
effet, l'inadapté.e devenu.e salarié.e irait de
licenciements en licenciements, finirait exclu.e du
système, et probablement très aigri.e.
Ne vaut-il pas mieux connaître
un premier choc et faire cet apprentissage alors que
le temps s'y prête encore? Ne peut-on pas espérer
que ce choc lui permette de prendre plus au sérieux (de
les appréhender autrement) les limites qui lui seront
posées dans une autre école par la suite?
Alors bien sûr, nous savons
pertinemment que ce qui a poussé l'enfant hors des
limites ne s'évaporera pas avec la simple crainte d'être
renvoyé.e une seconde fois. Nous n'espérons pas de
résolution magique du problème de comportement par ce
renvoi. Non, la chose à espérer pour nous serait une
prise de conscience entraînant une bonne remise en
question qui nous permettrait de mieux travailler à la
résolution du problème.
Auteur du livre : Ma vérité sur l'autisme, Jean-Luc ROBERT, N° ADELI : 779301076, consacre essentiellement sa carrière à l'étude et au traitement des troubles du comportement des enfants, notamment des autistes.