Coronavirus
: Quand les enfants redoutent la mort de leurs parents
- Mai 2020
- par Jean-Luc ROBERT
- Psychologue à LezAPe
A lire aussi : https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2007-1-page-95.htm
Se représenter la mort lorsque l'on est
enfant
Lorsque
l'on doit expliquer la mort à un.e enfant, on constate
que plus il.elle est jeune, plus la tâche nous paraît
complexe. Pourquoi?
Parce que
nous comprenons intuitivement que l'on risque de se
heurter à un problème de représentation, de
compréhension, puis d'acceptation.
Paradoxalement,
l'enfant n'est pas étranger.e à ce que l'on appelle
"l'angoisse de mort". Il peut la ressentir dès son plus
jeune âge, au moment où son moi, c'est-à-dire la
conscience de son existence en tant que sujet
indépendant, s'affirme. L'enfant prend alors conscience
de sa vulnérabilité face aux éléments extérieurs, mais
aussi de l'inconstance des ces éléments pouvant
disparaître à tout moment. L'angoisse de ne pas voir
réapparaître ces objets auxquels l'enfant est attaché.e
et desquels il.elle est entièrement dépendant.e,
s'intensifie à mesure que le temps de la disparition
s'allonge.
Ainsi, le
nourrisson qui à son réveil ne voit pas ses parents va
se mettre à pleurer, s'imaginant désormais seul au
monde, incapable de se représenter une continuité avec
des objets qu'il ne voit plus. Ne les voyant pas, ne
pouvant imaginer un ailleurs que l'espace présent,
ceux-ci n'existent plus. Par la suite, l'enfant comprend
que ses objets d'amour peuvent réapparaître, mais le
doute persistant, l'angoisse perdure également chaque
fois que le lien se distend ou se rompt. C'est le fameux
temps transitionnel (D.W. Winnicott) où l'enfant vit
mal la séparation.
Il faut
donc réaliser que si le nourrisson peut se sentir
vulnérable et faire face à des angoisses
d'anéantissement, sa crainte première est que les
éléments sur lesquels il s'appuie disparaissent et
n'existent plus jamais. Autrement dit, l'angoisse de
voir ses parents disparaître est vivement ressentie dès
le plus jeune âge, durant toute l'enfance et même après.
Mais alors que le tout petit peut fantasmer une
disparition définitive, il peut par la suite imaginer la
disparition et donc la mort, comme temporaire. Elle peut
être ainsi confondue avec les absences répétées qu'il
constate au quotidien et qui ne durent pas.
Comme
l'explique Hélène
ROMANO - Dr en psychopthologie clinique, dans "Etudes
sur la mort / L'enfant face à la mort" : "Le
tout petit n'a pas de compréhension intellectuelle de
ce qu'est la mort mais souffre au niveau émotionnel de
la séparation. Avant 6 ans l'enfant a une vision assez
rudimentaire de la mort ; il la perçoit comme un
événement imposé de l'extérieur, la décrit comme un
"long sommeil", un "long voyage", une "autre façon de
vivre". La mort est pour l'enfant jeune un phénomène
passager dont la notion d'irréversibilité et
d'universalité n'est souvent pas acquise".
Du fantasme à la réalité
L'ayant
redoutée depuis le berceau, l'enfant envisage
fantasmatiquement que la disparition d'un proche puisse
exister. Néanmoins ce fantasme, avant qu'un drame
survienne, est comme déconnecté de la réalité. C'est en
partie la raison pour laquelle les enfants peinent à
comprendre et à accepter que la mort puisse être
définitive. Elle reste avant tout fantasmée. Pour
l'enfant (jeune), les piliers que sont ses parents sont
éternels. Le temps étant appréhendé différemment, on
peut dire que ces derniers sont pour lui.elle
comparables à de vieux chênes dont on a du mal à
imaginer la naissance et la fin.
S'ils.elles
ne disent donc rien lorsqu'un parent (ou proche) est
malade, il ne faut aucunement penser qu'ils.elles
n'imaginent pas le pire et donc ne craignent pas de voir
leur monde s'effondrer. Plus l'adulte se montre
vulnérable physiquement, et plus le fantasme protecteur
ne parvient plus maintenir à distance une réalité
traumatisante. Qu'il s'agisse donc du COVID-19 dont les
adultes parlent à longueur de journée, ou d'une autre
maladie, n'oublions jamais que les oreilles des
enfants se dressent systématiquement bien qu'ils
n'interrompent pas leurs jeux. N'oublions pas que la
crainte de voir leur parents disparaître peut les
tenailler et qu'il est donc nécessaire de ne pas les
tenir à l'écart de cette réalité effrayante les pensant
confortablement installé.e.s dans leur bulle enfantine.
L'idéal
est de leur demander ce qu'ils.elles ont compris de ce
flot d'information qu'ils.elles ont jusqu'ici subi, et
de les aider à verbaliser leurs éventuelles angoisses. A
partir de là seulement, il sera possible de les aider à
ne pas être silencieusement envahi.e.s par elles.
- ROMANO, Hélène, Etudes sur la mort - L'esprit du temps P.95, 2007.
- WINNICOTT, D.W, Jeu et réalité : L'espace potentiel - Essai - poche - Paris, 2002.
Auteur du livre : Ma vérité sur l'autisme, Jean-Luc ROBERT, N° ADELI : 779301076, consacre essentiellement sa carrière à l'étude et au traitement des troubles du comportement des enfants, notamment des autistes.