Des
parents qui se déchirent, des enfants qui trinquent
- Avril 2021
- par Jean-Luc ROBERT
- Psychologue à LezAPe
La garde alternée
Il
est banal de dire que cette situation dans laquelle un
parent se retrouve n'est pas toujours facile à vivre
pour lui. Après une séparation physique et
géographique, on a souvent tort de penser qu'une
nouvelle page commence pour l'un et l'autre, surtout
lorsqu'il faut faire avec une garde alternée qui
chaque jour nous rappelle qu'il demeure malgré soi un
lien avec son ex-compagnon ou compagne.
On
parle souvent d'une séparation en bonne
intelligence pour rappeler ce qu'il serait
souhaitable de faire. Mais est-il vraiment question
d'intelligence dans ces situations? Je dirais qu'il
s'agit surtout de ressenti et parfois même de
ressentiment.
Car
dans cette relation qui a abouti à une séparation, les
parents sont passés par tous les états : le sentiment
amoureux, galvanisant, puis la première déception (fin
de l'idéalisation!), les premiers coups bas, et les
premières rancoeurs. Bref, l'historique est
souvent très long au moment où l'on prend la
décision finale de se séparer, et
il ne faut pas que croire que la décision d'un
juge qui se voudrait être un juge de paix, peut
signer à elle seule la fin de querelle.
L'enfant qui reste l'élément central si j'ose dire, le
bien que l'on devra se partager à vie, peut faire
l'enjeu d'une lutte acharnée pour avoir sa garde
exclusive. Il s'agira alors d'utiliser pour certains,
tous les coups bas possibles pour discréditer l'autre
et influencer le juge.
L'enfant : outil de torture
L'enfant sert parfois à se venger de la souffrance que nous aurait fait subir l'autre. Il peut aussi s'agir d'une reconquête à peine voilée : "Je sais que tu es triste de cette situation ma fille, mais moi je donnerais tout pour maman. Je n'ai jamais voulu qu'on se sépare. C'est à cause d'elle si on en est là et que tu es triste. Dis-lui que papa a dit qu'il l'aimera toujours. Tu lui diras?"
Parfois
l'enfant sert d'outil de chantage : "Je
respecterai mes tours de garde quand toi tu seras
capable d'honorer un rendez-vous et de payer la
pension... Oeil pour oeil!"
- Puis-je savoir pourquoi tu t'arranges toujours pour me faire poireauter avant qu'elle descende?
-
Quand comprendras-tu que jeudi 15h, ça ne veut pas
dire vendredi à 19h?
- Tu sais bien que je
ne supporte pas qu'il veille tard avec tes
copains alcoolos mais tu prends bien sûr un
malin plaisir à le faire quand tu as sa garde.
Nous
pourrions ici donner des centaines d'exemples où
l'enfant sert d'instrument de vengeance au milieu
d'une guerre sans fin où des parents n'arrivent pas à
se séparer en "bonne intelligence". Le conflit
parental oui, à travers l'enfant même devenu adulte,
peut perdurer ainsi durant toute une existence. A
l'âge de 30 ans, 40 ans..., il continuera d'entendre :
"Ta saleté de père a fait ceci, ta chienne de
mère cela... Tu ne vas pas me dire que tu prends
son parti cette fois-ci?" et devra à son
tour envisager d'être un parent malgré ce traumatisme
subi depuis son plus jeune âge.
La névrose et le transgénérationnel
Deux
mots reviennent alors : "Névrose" et
"transgénérationnel".
> Comment va-t-il composer avec ce vécu traumatique qui risque fort de ressurgir dans son couple et dans les relations avec ses enfants?
> S'engager vaut-il la peine si c'est pour faire supporter à un enfant tant de souffrances?
> S'engager vaut-il la peine si c'est pour haïr à ce point l'autre au final?
Un constat : au
coeur de ces conflits, les enfants trinquent et
peuvent devenir des patients gravement névrosés qui
ne croient plus en rien et surtout pas au bonheur à
deux.
N'oublions
pas que l'enfant aime ses deux parents sauf cas
exceptionnel, et que sa souffrance psychique atteint
son paroxysme quand il est poussé à haïr l'un ou
l'autre (conflit de loyauté entrainant tout à un tas
de symptômes chez lui). Le simple fait qu'un parent
lui dise, ou même lui fasse comprendre d'une façon
implicite, qu'il ne veut pas entendre parler de ce
qu'il s'est passé avec l'autre parent, le
condamne à un silence lourd de conséquences pour lui.
Prendre du plaisir avec
le "parent ennemi" est alors un plaisir
coupable, et fait de lui un enfant ingrat, un
traitre. Par la suite cet enfant pourra être en
difficulté dans ses relations interpersonnelles
lorsqu'il sera en situation d'éprouver du plaisir et
de le partager avec ses proches.
Que faire alors?
Il
sera toujours utile de rappeler à ces parents les
dégâts irréversibles causés par de tels comportements.
Et peut être sera-t-il encore utile de sensibiliser
tous les professionnels jouant un rôle dans ces
terribles histoires familiales (de l'éducateur
spécialisé, au Juge des Affaires Familiales),
afin qu'un accompagnement psycho-éducatif
puisse être mis en place le plus précocement possible.
Auteur du livre : Ma vérité sur l'autisme, Jean-Luc ROBERT, N° ADELI : 779301076, consacre essentiellement sa carrière à l'étude et au traitement des troubles du comportement des enfants, notamment des autistes.