Vers l'individuation et l'autonomie, à tous les âges de la vie
- Juillet 2017
- par Céline ROUFFINEAU
- Psychologue à LezAPe
La crainte de la séparation :
Se séparer, cela semble violent,
compliqué. Se séparer c’est « s’éloigner », s’éloigner
de l’autre, c’est faire face à soi, donc être seul, sans
l’autre. Alors oui, se séparer ça peut faire peur,
quelle que soit notre place. Que nous soyons l’enfant ou
que nous soyons le parent, le professionnel…
Il est tellement plus simple et plus logique de se
complaire dans cette place sécurisée et contenue par
l’autre ! Alors est-il bon de se séparer et pourquoi ?
Il y a des familles où la fusion fait l’objet principal
d’un mode de communication. Tout est collé. On ne peut
exister l’un sans l’autre. Les émotions sont alors
indifférenciées, confondues, tant dans l’amour que dans
la haine. Mais comment bien communiquer quand les places
de chacun ne sont pas différenciées ? Cela est bien
compliqué.
Se séparer prend donc toute son importance ici. Se
séparer, c’est s’individualiser, s’autonomiser, devenir
sujet, différent d’autrui, sujet unique avec
son histoire propre, ses pensées, ses désirs...
L’étymologie du mot « séparé » nous invite d’ailleurs à
un regard vers le sujet en devenir, l’origine de «
séparé » trouvant sa racine dans le mot « parere »
signifiant « mettre au monde ». Ainsi, se séparer
commence au tout début, dès la naissance. Il s’agit de
la première et plus intense des séparations, premier
traumatisme de la vie du jeune enfant qui se retrouve
délogé de son cocon sécure, chaud et berçant, que lui
offrait sa mère au sein de son ventre. Bien vite plongé
dans ce monde rempli de stimuli, il retrouvera un
confort affectif au sein des bras de sa mère, et de tous
ces autres qui viendront exister autour de lui, et le
faire exister. Le père sera ce « premier autre » qui
aura une place de tiers au sein de la relation duelle
mère-enfant, leur permettant de s’éloigner un peu pour
faire de la place pour chacun des membres de la
relation, une relation triangulaire telle que Freud la
définit.
Cette séparation traumatisante de la naissance est
également celle de la mère, qui fusionnait avec cet être
qui grandissait en elle. Un être qui était rattaché à
elle par ce câble maternel, cette corde de sécurité, le
cordon ombilical qui devra être coupé, physiquement et
symboliquement.
Puis viendra le temps de la séparation pour intégrer les
lieux d’accueil en collectivité tels que la crèche,
l’école maternelle, l’école primaire… Ces espaces de
rencontres et de séparations, vont mobiliser tout le
psychisme afin d’entrer dans un nouveau mode
relationnel, une nouvelle dynamique d’échanges et de
places. Les premiers temps de rencontres seront
décisifs. Comment entrer en relation ? Comment se dire
au revoir ? Comment se retrouver ? Comment préparer la
prochaine séparation ?...
Me revient en mémoire cet enfant de 2 ans et
demi, nous l’appellerons Nicolas, qui vivait
seul avec sa mère après une séparation brutale et
récente de ses parents. Il intègre le groupe des grands
de notre crèche en cours d’année, alors que chacun,
enfants et professionnels, a déjà trouvé sa place au
sein de la section. Nicolas souffre atrocement à chaque
séparation. Il pleure, s’accroche à sa mère, et est très
difficilement consolable. Il ère dans la section, se
pose dans le « coin calme », le regard triste, pleure de
façon chronique. Il commence à présenter des troubles du
sommeil ce qui inquiète beaucoup sa mère.
Suite à des échanges entre professionnels et avec la
mère, nous décidons de travailler sur ce temps de
séparation qui nous semble si important. Nous proposons
des rituels visant à préparer la séparation depuis le
départ de la maison jusqu’à l’arrivée dans la section de
la crèche (verbaliser ce qui va se passer, faire des
petites chansons spécifiques du matin et pour se dire au
revoir, des rituels de câlins-bisous).
Nous pensons aussi un accompagnement auprès des
professionnels de son groupe avec un temps de relais,
l’importance donnée également aux retrouvailles... Et
puis nous intégrons le fameux doudou, « objet
transitionnel »1 que Winnicott décrit si bien, afin
d’offrir un objet d’investissement symbolique lors de la
séparation d’avec la mère (durant les siestes, les
couchers, les temps de séparation chez la nourrice ou à
la crèche…).
Cet objet spécifique, auquel l’enfant s’attache, aura un
rôle de substitut maternel permettant à l’enfant de
supporter les moments d’angoisses lorsqu’il devra se
séparer de sa figure d’attachement
(mère/père/grand-parent…).
Ce doudou, Nicolas pourra le garder
autant de temps qu’il en aura besoin. D’ailleurs,
pourquoi ne pas permettre à chaque enfant d’être
autonome sur la gestion de son besoin de doudou ? Nous
mettons alors en place des paniers nominatifs pour que
chaque enfant puisse déposer ou aller chercher son
doudou lorsqu’il en a besoin (avec des règles pour
cadrer de façon pertinente la place spécifique du doudou
selon les activités). Ainsi, Nicolas fait partie
intégrante du groupe en ayant participé à la mise en
place d’un projet au sein de sa section. Et par des
rituels organisés avec sa mère et l’équipe, Nicolas peut
petit à petit se séparer et s’appuyer sur son doudou
pour se rassurer et s’apaiser lorsqu’il en a besoin, et
ce, de façon autonome.
Que nous apprend l'histoire de Nicolas?
Se séparer ça se prépare, ça
s’organise, ça se pense. Se séparer, nous le faisons
dans notre quotidien, avec plus ou moins de difficulté,
avec plus ou moins de plaisir, que ce soit pour entrer à
l’école, à l’université, intégrer un lieu de travail,
entrer dans un groupe d’association culturelle ou
sportive, quitter le foyer familial pour s’installer
seul ou en couple, se séparer de sa compagne pour faire
de la place à un enfant à venir, laisser partir nos
enfants de la maison, le deuil d’un parent… Se séparer
est un acte de tous les jours, inscrivant de nouvelles
dynamiques relationnelles, impliquant des aménagements
ou réaménagements des places au sein d’un groupe. Mais
chaque fois, la séparation vise une « mise au monde »,
une nouvelle entrée dans un espace relationnel toujours
nouveau et qui nous pousse à travailler sur soi par
rapport à l’autre. Qui suis-je en tant que sujet, unique
et différent d’autrui ? Chaque fois, se séparer semble
donc difficile mais inévitable afin de ne pas
s’organiser/se perdre dans une fusion des places, une
fusion qui peut être aliénante et qui empêche d’exister
en tant que sujet.
1 Le concept d’objet
transitionnel a été développé par Donald Winnicott,
pédiatre et psychanalyste britannique, dans les années
50, pour définir cet objet choisit et investit par
l’enfant afin qu’il trouve en cet objet un espace de
transition, de substitution lors de l’absence de sa
mère, pour se rassurer. Celui-ci « dégage l’enfant du
besoin de la mère elle-même ».
L’objet transitionnel selon la définition de
Winnicott, est un : « objet ou phénomène qui acquiert
une importance vitale pour le petit enfant qui
l’utilisera au moment de s’endormir. C’est une défense
contre l’angoisse, (…) qui deviendra ce que j’appelle
l’objet transitionnel. » Jeu et réalité, l'espace
potentiel, D. W. WINNICOTT, Gallimard, Paris, 1975,
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Céline ROUFFINEAU est une psychologue clinicienne spécialisée dans les troubles du comportement des jeunes enfants. Postes actuels : crèche Baboune, Lezape, Ehpad les tisserins.