Comptes
pour mineurs : Attention à la dématérialisation pour les
plus jeunes
- Sept 2020
- par Jean-Luc ROBERT
- Psychologue à LezAPe
Les années 60, période charnière
Les
années 60, période clé de la croissance économique
française, seront durant les trente glorieuses (jusqu'à
1973), l'occasion d'un nouveau rapport à l'argent. Les
femmes pourront notamment se montrer autonomes en se
passant de l'autorisation de leur mari pour ouvrir un
compte bancaire (1965). Avec cette émancipation, et
l'évolution de la place de l'enfant qui au fil des
années sera de plus en plus entendu dans ses désirs,
l'argent se démocratisera au sein des foyers.
Donner de
l'argent à ses enfants, est donc une pratique
relativement récente allant de pair avec une évolution
de l'économie, mais aussi des moeurs, l'enfant étant
désormais considéré.e comme une petite personne dont les
désirs comptent.
Différence
intergénérationnelle :
L'enfant qui reçoit de l'argent ignore
probablement aujourd'hui, que ses grands-parents n'ont
jamais reçu d'argent de poche, et qu'il n'était pas
courant que la génération de ses parents en reçoive. Les
grands-parents disent d'ailleurs clairement qu'il ne
leur serait jamais venu à l'esprit d'oser demander
pareilles choses à leurs parents, et n'avoir
pourtant manqué de rien. Ce petit rappel
historique nous semble important pour éviter de corréler
don d'argent et don d'amour (ou don de ce qui est
nécessaire, indispensable)... : "Tu
ne me donnes pas d'argent parce que tu ne m'aimes
pas!"
Le don d'argent n'est pas une obligation
Car il
est important de distinguer
les besoins primaires
(pyramide de Maslow), des besoins
secondaires.
Les
parents qui ne sont pas en mesure de donner de l'argent
de poche ne doivent donc pas se culpabiliser ou se
considérer comme défaillants, quoi que puisse en
dire leurs enfants, qui pourraient mettre en avant que
leurs copain.e.s en reçoivent. Il s'agira de leur
expliquer la raison pour laquelle on ne peut donner de
l'argent, et de leur rappeler que l'essentiel reste de
répondre aux besoins primaires précités qui sont les
leurs.
Il
conviendra également de leur rappeler qu'il y a
suffisamment d'occasions de leur faire plaisir,
notamment lors des fêtes marquantes que sont les
anniversaires, Halloween, Noël, ou Pâques. Ces 3 ou 4
moments attendus avec excitation, seront aussi
l'occasion de leur apprendre la patience et la
compréhension du caractère exceptionnel d'un cadeau
auquel s'ajoute une valeur sentimentale.
Des dons sous conditions...
Avec ces cadeaux "programmés", on entend souvent les parents dire : "Mais tu obtiendras ce cadeau à la condition que... comportement..." Car contrairement aux besoins primaires qui devraient être satisfaits sans conditions, les besoins secondaires que sont les cadeaux ou dons d'argent, sont peu ou prou soumis à conditions :
- que l'objet désiré (ou la somme désirée) par l'enfant entre dans le budget des parents;
- que l'enfant l'ait mérité (bon comportement, effort à l'école, etc);
- que les
parents approuvent la nature du cadeau (on peut
comprendre qu'un tatouage/piercing soit refusé, tout
comme l'achat d'un animal domestique pour x raisons qui
seront expliquées)...
D'un
point de vue éducatif en effet, on peut comprendre qu'il
serait catastrophique qu'un enfant ayant les pires
comportements obtienne des cadeaux, les parents se
sentant souvent obligés de répondre à la pression
sociétale qui voudrait qu'un bon parent offre
forcément les cadeaux demandés en période de fête. On
parlerait en psychologie comportementale du renforcement
positif d'un mauvais comportement (le R+ consiste
à donner au sujet un stimulus agréable afin d'augmenter
la fréquence d'apparition d'un comportement.)
Autrement dit, l'enfant serait par ce cadeau ou don
d'argent, encouragé (récompense) à maintenir ses mauvais
comportements, et estimerait ce don comme un dû ne se
mérite donc pas. Il n'aurait ainsi aucune raison de
faire des efforts pour le mériter.
Quelques conseils
>
Suspendre les dons : On peut donc d'un point de
vue éducatif, envisager de suspendre les dons d'argent
ou de cadeau en cas de mauvais comportement, et
appliquer ainsi une punition
négative salutaire (Le P- consiste
à supprimer un stimulus agréable pour l'enfant lorsque
ce dernier fait preuve d'un mauvais comportement afin
de diminuer/décourager ce comportement) sans se
culpabiliser.
> A
quel âge donner? A partir de 7-8 ans les enfants
se montrent à l'aise avec les additions et
soustractions. Ils.elles commencent à acquérir la notion
des quantités et des proportions, et peuvent ainsi
appréhender la valeur de l'argent en comparant les
objets achetés entre eux. Il est raisonnable d'envisager
alors de les aider à progresser en leur faisant don
d'une petite somme à gérer. Généralement, l'enfant,
fier.e, considère cette somme comme importante et ne la
dilapide pas. En économisant, il.elle prendra conscience
que les choses se méritent et qu'elles sont précieuses
une fois acquises. Inversement, l'enfant pour qui l'on
remplacera la tablette cassée immédiatement, peinera à
faire cet apprentissage indispensable de la frustration
et de la valeur des choses.
> Combien donner? La somme doit correspondre aux besoins de l'enfant selon son âge. De quoi peut-on avoir besoin à l'âge de 8 ans? (de bonbons, de BD, de cartes à collectionner...) Il s'agira donc de donner des montants permettant d'acheter ces choses. A 16 ans par contre, il sera plus question de donner des montants permettant de s'acheter des vêtements, d'aller au cinéma etc, tout en gardant un oeil éducatif sur l'usage qui est fait de cet argent.
>
Donner régulièrement et à date fixe? De préférence
oui, mais toujours sous conditions. Ce qui implique :
- que ce don n'est pas automatique;
- qu'il se mérite parce que l'argent a une valeur;
- que le
parent souhaite faire plaisir à son enfant par ce biais,
estimant que cette autonomie financière sera une aide
supplémentaire à son épanouissement.
>
Attention à la dématérialisation et au crédit
automatique : L'épidémie
de la COVID-19 a entraîné un changement des
habitudes, et fait apparaître de nouveaux services
proposant un versement d'argent de poche
dématérialisé aux jeunes (comptes pour mineurs) via
une application. Mais
attention, lorsque l'enfant est
jeune, il nous semble préférable de ne pas
passer par ce type de paiement sur smartphone qui
s'opère dans un monde qui reste "virtuel".
Privilégier l'aspect palpable de la monnaie lui fera
prendre davantage conscience qu'il s'agit bien d'un
don qui n'a rien d'automatique et qui est lié à un
mérite.
Rappel
: Il s'agira néanmoins de répondre par ces dons à des
besoins secondaires qui ne pourront jamais remplacer les
besoins primaires que nous avons rappelés (pyramide de
Maslow). Nous avons d'ailleurs tous entendu des récits où
des enfants gâtés sur la plan matériel, affirmaient
pourtant avoir été malheureux car ils manquaient
d'attention, de considération, et d'amour.
Auteur du livre : Ma vérité sur l'autisme, Jean-Luc ROBERT, N° ADELI : 779301076, consacre essentiellement sa carrière à l'étude et au traitement des troubles du comportement des enfants, notamment des autistes.